Les archives féministes à la BHVP

Si on vous dit : “archives féministes dans les bibliothèques parisiennes”, vous allez immédiatement penser à la bibliothèque Marguerite Durand, et c’est bien normal : cette bibliothèque, qui appartient elle aussi au réseau des bibliothèques patrimoniales de la ville de Paris, est entièrement dédiée à la mémoire des combats féministes. Son fonds de manuscrits et de lettres autographes a fait l’objet de 3 articles de présentation sur le site des bibliothèques patrimoniales. Mais la Bibliothèque historique de la Ville de Paris détient elle aussi une documentation précieuse pour retracer l’histoire de la lutte des femmes pour l’égalité.

Cette documentation se répartit en deux grands ensembles : la “bibliothèque Marie-Louise Bouglé” d’une part, et le fonds Edmée de La Rochefoucauld d’autre part.

La “bibliothèque Marie-Louise Bouglé”

D’origine modeste, Marie-Louise Bouglé (1883-1936) s’engage dans la cause féministe à partir de 1910. Elle décide en 1921 de recueillir toutes les traces, manuscrites comme imprimées, de la condition féminine, du suffragisme et du pacifisme. Sa bibliothèque personnelle, qu’elle ouvre au public deux jours par semaine, située rue des Messageries (elle déménagera rue du Moulin-de-la-Pointe en 1932), s’enrichit de dons provenant de grandes figures du féminisme de la fin du 19^e siècle, et il est parfois difficile de déterminer si la documentation relative à tel ou tel nom a été constituée par Marie-Louise Bouglé elle-même et relève donc de ce que la terminologie archivistique dénomme “collection”, ou s’il s’agit d’un véritable “fonds” remis directement par sa productrice (car en l’occurrence il s’agit bien plus souvent de productrices d’archives que de producteurs…) ou ses héritiers.

Après la mort de Marie-Louise Bouglé en 1936, son époux André Mariani et l’Association des amis de la bibliothèque de Marie-Louise Bouglé poursuivent son action, mais le contexte international suscite des inquiétudes et il faut trouver un endroit où mettre à l’abri ce trésor documentaire. La bibliothèque Marguerite Durand, fondée en 1932, aurait constitué un point de chute logique ; mais de profondes divergences entre Marguerite Durand et Marie-Louise Bouglé avaient poussé cette dernière à déclarer, de son vivant même, qu’elle refusait cette possibilité. André Mariani se tourne donc vers la Bibliothèque nationale en 1939 ; le régime de Vichy met en place au sein de celle-ci une “Bibliothèque d’histoire de la France contemporaine”, où Hélène Roudaud commence à traiter cet ensemble. Mais après la Libération, la Bibliothèque nationale souhaite se défaire des imprimés réunis par Marie-Louise Bouglé, qui doublonnent partiellement avec ses propres collections et qui n’entreraient pas aisément dans son cadre de classement. Séparer archives et imprimés d’un lot aussi cohérent n’aurait toutefois guère eu de sens, et le tout est donc intégralement remis en 1946 à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, qui l’accueille volontiers mais ne dispose pas des forces nécessaires pour en dresser rapidement l’inventaire. Il faudra attendre 1982 pour que les grandes lignes de cet inventaire soient établies, et ce dans le cadre de la thèse universitaire soutenue par Maïté Albistur sous la direction de Michelle Perrot. Depuis les années 2000, cet inventaire a été affiné et informatisé afin d’être mis à la disposition d’un large public ; il est à présent en passe d’être achevé.

Les imprimés de la “bibliothèque Marie-Louise Bouglé” sont décrits dans le catalogue collectif des imprimés du réseau des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris. On peut les isoler en sélectionnant la ligne “Fonds Bouglé” dans la liste qui s’affiche lorsque l’on clique sur le critère “Fonds”, vers le milieu de l’écran “Recherche avancée“.

Les autres documents ont fait l’objet d’inventaires en ligne distincts en fonction tantôt de leur typologie, tantôt de la personnalité à laquelle ils se rattachent.

Le premier de ces inventaires est consacré aux archives de Marie-Louise Bouglé elle-même. On y trouve aussi l’inventaire de la correspondance de son époux André Mariani ainsi que les archives relatives au fonctionnement de la bibliothèque Marie-Louise Bouglé avant qu’elle n’entre à la Bibliothèque nationale puis à la BHVP.

On trouve ensuite un inventaire d’autographes isolés, consistant essentiellement en éléments de correspondance qu’il n’a pas été possible de rattacher à un ensemble plus large.

Les deux inventaires suivants sont consacrés aux coupures de presse classées par ordre alphabétique des noms des personnes physiques qui en constituent le sujet, et aux coupures de presse classées par ordre alphabétique des noms des auteurs qui ont rédigé les articles qu’elles contiennent. L’inventaire des coupures de presse classées par sujet est en cours d’élaboration et sera prochainement mis en ligne.

L’iconographie et les objets font l’objet d’un inventaire à part, qui n’est toutefois pas tout à fait achevé puisqu’il subsiste encore deux boîtes d’iconographie à inventorier. De même, le travail d’inventoriage des archives relatives aux “Groupes et associations” et aux “Congrès” va bientôt commencer et la publication de ces deux derniers inventaires mettra le point final au traitement de cet ensemble documentaire exceptionnel.

Les derniers inventaires sont consacrés à une vingtaine de grands noms du féminisme :

– Hubertine Auclert (1848-1914) eut une activité de journaliste et milita pour le droit de vote des femmes dès la fin des années 1870.

– Camille Bélilon (1850-1930) eut également une activité de journaliste et dénonça sans relâche les inégalités entre hommes et femmes.

– Louise Bodin (1877-1929) fut syndicaliste et pacifiste et joua un rôle politique, notamment au sein du comité directeur du Parti communiste.

– Jeanne Bouvier (1865-1953) se consacra au syndicalisme et aux conditions de travail des femmes et écrivit des ouvrages sur l’histoire des femmes.

– Marthe Bray (1884-1949) fut la fondatrice de la Ligue d’action féminine pour le suffrage des femmes en 1926.

– Ferdinand Buisson (1841-1932) est l’un des rares visages masculins de cette galerie féministe. Homme politique, il prit position pour le suffrage des femmes et son engagement pour le pacifisme lui valut le prix Nobel de la paix en 1927.

– Henriette Coulmy (1877-1944) eut une activité syndicale et participa à des congrès féministes internationaux ; elle contribua par ailleurs au fonctionnement de la bibliothèque Marie-Louise Bouglé, y compris après le décès de sa créatrice.

– Gabrielle Duchêne (1870-1954) s’engagea dans le pacifisme et présida la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté à partir de 1919.

– Blanche Fournet-Kaindler (18..-1934) siégea notamment au Conseil national des femmes et à l’Union française pour le suffrage des femmes.

– Marguerite Guépet (1891-1943) mena un combat pour le féminisme, l’anarchisme et le pacifisme.

– Marc Hélys (1864-1958), de son vrai nom Marie Léra, fut journaliste et femme de lettres ; elle étudia les conditions de vie des femmes dans divers pays et ses archives sont essentiellement constituées de documentation photographique réunie au cours de ses voyages.

– Caroline Kauffmann (1852-1926) adhéra à la SFIO puis au Parti communiste.

– Marcelle Legrand-Falco (1880-1985) milita pour le vote des femmes, la défense des femmes maltraitées et l’abolition de la prostitution.

– Arria Ly (1881-1934) adopta un féminisme radical prônant le célibat comme tremplin vers l’émancipation féminine. On trouvera dans L’Échauguette un article consacré à un document singulier appartenant à ce fonds.

– Jeanne Mélin (1877-1964) s’engagea dans le pacifisme et le suffragisme. Un autre article de L’échauguette s’attarde sur une manifestation pacifiste organisée le 11 novembre 1931 par le Cercle Pax Occident – Orient qu’elle venait de fonder quelques mois plus tôt.

– Germaine Montreuil-Straus (1883-1970) se préoccupa essentiellement de l’éducation des femmes à l’hygiène sexuelle et à la prévention de ce que l’on appelait encore à l’époque les maladies vénériennes. Les documents de la bibliothèque Marie-Louise Bouglé consacrés à Germaine Montreuil-Straus ont été complétés par un don de la petite-fille de celle-ci en 2018 ; l’inventaire décrit parallèlement ces deux ensembles.

– Madeleine Pelletier (1874-1939) opta pour un féminisme radical, préconisant elle aussi, à l’instar d’Arria Ly, le célibat comme moyen d’accéder à l’émancipation.

– Marianne Rauze (1875-1964) eut un rôle politique à la SFIO puis au PSU et s’engagea résolument dans le combat pacifiste après avoir perdu son époux à la guerre. Elle fut membre du comité central de l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants) de 1919 à 1923.

– Céline Renooz (1840-1928), d’origine belge, insistait sur les différences psychologiques entre les hommes et les femmes, tout en revendiquant l’égalité entre les sexes. Désireuse d’appuyer le féminisme sur un socle scientifique, elle fonda dans les dernières années du XIXe siècle la Société néosophique dans le but de faire connaître ses théories sur l’origine de l’espèce humaine. Sa philosophie originale est exposée dans un autre article de L’Échauguette.

– Léon Richer (1824-1911) est avec Ferdinand Buisson l’un des deux seuls représentants masculins au sein de cet ensemble. Journaliste, il fonda en 1869 un journal consacré à l’émancipation des femmes, en 1870 l’Association pour le droit des femmes, et en 1882 la Ligue française pour le droit des femmes.

– Maria Vérone (1874-1938) fut l’une des premières femmes à mener une carrière d’avocate et donna de nombreuses conférences sur le féminisme.

– Léo Wanner (1886-19..), de son vrai nom Léonie Berger, s’engagea à la SFIO puis au Parti communiste et consacra une grande part de son énergie à la Ligue française contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. Ses archives au sein de la bibliothèque Marie-Louise Bouglé sont toutefois majoritairement consacrées à l’abolition de la prostitution.

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Le fonds Edmée de La Rochefoucauld

L’écrivaine Edmée de La Rochefoucauld (1895-1991) présente la particularité de conjuguer engagement catholique et engagement féministe. Elle rassure les milieux conservateurs et parvient à vaincre leur prévention à l’égard du vote des femmes. Elle s’intéresse au rôle de la femme et de la mère dans la cellule familiale, ainsi qu’au travail des femmes ; elle cherche à lutter contre les “fléaux sociaux”, aux premiers rangs desquels figurent l’alcoolisme et la prostitution. La documentation qu’elle a réunie autour de Marcelle Legrand-Falco complète celle de la “bibliothèque Marie-Louise Bouglé”.

Un inventaire du fonds Edmée de La Rochefoucauld est disponible en ligne, ainsi qu’un article de présentation sur L’échauguette.

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