Focus sur quelques acquisitions du département des Éphémères en 2022
Comme en 2020 et en 2021, nos acquisitions de l’année ont porté principalement sur des thèmes correspondant à des ensembles déjà traités ou en cours de traitement, pour lesquels il est plus facile de sélectionner des compléments auprès des libraires ou en salles de vente : menus de banquets, publicités et cartes de restaurants, factures de commerces parisiens, programmes de cinémas, éphémères des expositions universelles, documents diffusés par les grands magasins ou encore par les commerces alimentaires. Environ 200 documents sont ainsi entrés dans nos collections en 2022, dont les deux tiers relèvent de ces domaines et enrichissent progressivement les inventaires préexistants.
Mais nous saisissons aussi parfois des occasions de documenter d’autres aspects – sociaux, économiques et culturels – de la vie quotidienne des Parisiens, tel que l’avait envisagé Marcel Poëte, l’initiateur de la collecte d’éphémères à la BHVP. Voici donc six exemples de ces petites “pièces de la rue”.
Papier à en-tête “Au Timbalier”, Mathieu, marchand d’instruments et professeur de musique, rue de Richelieu
La collection des éphémères de la BHVP couvre principalement la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e siècle. Mais les factures et papiers à en-tête font exception et couvrent la fin de l’Ancien Régime et tout le 19e siècle ; ils proviennent en effet en grande partie de dons de collectionneurs privés ayant rassemblé des pièces plus anciennes. C’est pourquoi nous avons décidé d’acquérir ce document sur papier chiffon de 21 x 26 cm.
Sa datation reste néanmoins assez imprécise : ce marchand de musique est en effet absent des annuaires du commerce anciens, la période d’activité connue du graveur, Antoine Michot, s’étend de 1790 à 1804 et la rue de Richelieu est débaptisée entre 1793 et 1806 ; il pourrait donc s’agir d’un document des premières années de la Révolution.
Sa fonction est également intéressante : le libraire qui nous l’a vendu y voit une carte de commerce, en raison de la présence du nom de la boutique dans un phylactère, d’une gravure reprenant peut-être l’enseigne et d’un argumentaire commercial présentant les compétences diverses de Mathieu, “musicien, marchands d’instruments”, professeur de “clarinette, flûte et flageolet”, fournisseur de partition et organisateur de festivités. Mais il s’agit tout autant du papier à musique vendu par ledit Mathieu, vierge ou bien portant des morceaux de musique et véhiculant du même coup sa publicité.
Mathieu semble spécialisé dans la musique à danser, “les petits airs du jour, les contre-danses et walses nouvelles” – on notera la graphie encore imprégnée d’allemand de cette danse née à Vienne dans les années 1780. D’ailleurs, si le mot “pantalon” vous intrigue, sachez qu’il s’agit de la première figure du quadrille, dont nous avons ici une partition pour violon.
Carte publicitaire de Jean Vaugelade, imprimeur cartonnier, rue de l’Asile Popincourt, 1949
Autre document publicitaire, cette carte a également retenu notre attention en raison de sa date, attestée par le cachet de la poste : la collecte d’éphémères de la BHVP s’est en effet étiolée au fil du temps et la deuxième moitié du 20e siècle est bien moins documentée que les premières décennies.
Avec cette carte d’environ 8 x 15,5 cm, sans doute adressée à tous ses clients, Jean Vaugelade démontre son savoir-faire : la composition texte-image, le façonnage et l’assemblage des formes découpées sont effectivement assez complexes ; et la résistance de l’ensemble au traitement postal atteste de sa solidité.
On perçoit également ici l’importance du développement des télécommunications dans l’essor du commerce au tout début des Trente Glorieuses : non seulement les détails techniques de l’installation contribuent à donner à la société Vaugelade une image de modernité, mais ils constituent une forme de garantie de la disponibilité et de la réactivité de l’imprimeur vis-à-vis de ses clients.
Carte postale de l’Œuvre parisienne des Enfants à la Montagne, 1929
Œuvres de bienfaisance et organismes de solidarité à Paris depuis la Troisième République constituent un phénomène social particulièrement bien documenté dans les collections imprimées de la BHVP, notamment dans les périodiques et les éphémères. Les éphémères produits par ces organismes durant la période de la Première Guerre mondiale sont d’ailleurs inventoriés.
Les champs d’intervention de la charité privée ou publique sont divers, mais l’aide à l’enfance y tient une place particulièrement importante. Les effets néfastes de l’industrialisation sur la santé des petits citadins, ainsi que la nécessité de les éloigner du danger durant les périodes de guerre, amènent des philanthropes à créer pour eux des colonies de vacances à la campagne à partir des années 1880.
En 1929, l’Œuvre parisienne des Enfants à la Montagne emploie un moyen original pour attirer l’attention sur son activité et lever des fonds : un lâcher de ballons depuis la Tour Eiffel ; à chaque ballon est attachée une carte postale numérotée à retourner à l’œuvre ; on peut supposer que la personne ayant acheté le ballon qui voyage le plus loin remporte un cadeau. Notre exemplaire est retrouvé dix jours après son départ de la capitale à Hermonville, dans la Marne ; il a parcouru environ 150 km !
Brevet de Saint-Catherine, 1923-1924
Traditionnellement, le 25 novembre, les jeunes filles prient Sainte Catherine, leur protectrice, pour obtenir un bon mariage. Au 20e siècle, la tradition des catherinettes perdure principalement dans certains milieux professionnels féminins, tels que la couture et la mode : les ouvrières et salariées célibataires de plus de 25 ans arborent ce jour-là un couvre-chef distinctif.
Dans le Paris de l’Entre-deux-guerres, ce folklore très vivace chez les midinettes donne lieu à des festivités, en particulier à Montmartre où la Commune libre et la République, créées en 1921, entendent préserver le quartier, ses traditions et ses réseaux de solidarité des assauts du monde moderne.
Ce magnifique diplôme de grand format (48 x 60 cm) est illustré par l’un des membres fondateurs de la République de Montmartre, le peintre Maurice Millière (1871-1946), connu pour ses représentations des “petites femmes” de Paris, coquettes, souriantes et libérées. Sa catherinette s’inscrit dans le paysage champêtre idéalisé des pentes et des moulins de la butte, que Commune et République souhaitent protéger. Sa robe fluide fait peut-être référence aux créations de Jean Patou (1887-1936), employeur ou parrain des jeunes femmes célébrées à cette occasion : le couturier, installé rue Saint-Florentin, non loin de la place de la Concorde, semble en effet un employeur attentif à ses salariées.
On notera enfin l’attachement des “institutions” parodiques de Montmartre à un imaginaire révolutionnaire et républicain, cultivant sans doute aussi l’héritage de la Commune de 1871 : c’est un calendrier républicain qui est employé, la place de la Concorde est “place de la Révolution”, la cérémonie de Sainte-Catherine est doublée d’un baptême républicain et la “citoyenne” représentée porte une coiffe qui n’est pas sans rappeler le bonnet des femmes de 1789 ; son ruban arbore même les couleurs du drapeau tricolore.
Carte publicitaire du dancing l’Ange rouge
Restons à Montmartre, rue Fontaine, avec ce petit document publicitaire (8 x 11 cm) vantant les services du cabaret l’Ange rouge, le “dancing des sportifs”.
Le n°6 abrite un lieu de divertissement dès la fin du 19e siècle. Il s’agit alors d’un café concert et d’un restaurant, le Princess’s. S’y succèdent ensuite théâtres, cinéma, club de jazz… jusqu’au Bus Palladium, célèbre discothèque des années yé-yé, définitivement fermée en avril 2022.
Selon les annuaires du commerce, l’Ange rouge accueille les fêtards de 1933 à 1965, date de l’ouverture du Bus Palladium.
Ce document illustre parfaitement les difficultés à dater précisément un éphémère, souvent dépourvu de date : ni la forme du numéro de téléphone, usitée de 1912 à 1963, ni la mention de René Lemaire, accordéoniste actif avant et après-guerre, ni celle d’une marque de poste radio, commercialisée de 1922 à 1962, ne constitue un indice suffisant.
C’est un encart publicitaire au texte très proche, paru dans un numéro de Paris-Soir de 1933, qui permet de dire que cette carte a sans doute été diffusée dans les premiers mois d’activité du dancing.
D’ailleurs, la chanson de Bixio Le Chaland qui passe “chantée tous les soirs à l’Ange rouge”, dont le refrain est imprimé au dos de la carte, est éditée en 1932.
Notons que c’est parfois la mention d’un imprimeur comme ici “Maison Rapide, 8 rue Drouet” qui permet de dater un document.
Cette carte présente un côté dentelé qui laisse à penser qu’elle était constituée de deux parties détachables : celle qui nous manque aujourd’hui était certainement un coupon donnant droit à une réduction ou à une gratuité.
Quant à savoir si ce dancing a véritablement attiré un public de sportifs, au-delà de l’association d’idées que l’on peut faire spontanément entre l’accordéon et les courses cyclistes, il faudrait retrouver et analyser les éventuelles mentions de l’Ange rouge dans les sources sur le sport, que les institutions patrimoniales, et notamment la BHVP, s’efforcent actuellement de signaler et de valoriser.
Carton d’invitation à l’exposition “Erreurs monumentales de Paris” (Ligue française d’action d’art, Galerie de la Gazette des beaux-arts), 1936
Enfin, notre attention a été attirée par le titre de cette exposition…
La ligue française d’action d’art est fondée par Jacques Guenne, critique d’art, co-fondateur des revues Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques et L’Art vivant, et par ses confrères de la presse artistique. Anti-académique et nationaliste, ce mouvement présente un programme consistant en “un plan complet d’assainissement artistique destiné à préserver le patrimoine artistique de la France, à l’enrichir et à maintenir son prestige à l’étranger”.
Les travaux dans la capitale et son éventuel enlaidissement semblent constituer une de leurs préoccupations récurrentes puisque L’Art vivant lance déjà en 1933 une enquête comprenant les questions suivantes : “I. Il est question de démolir le Palais du Trocadéro. Cela vous paraît-il souhaitable ? -II. Si vous aviez à détruire le plus laid monument de Paris, quel est celui sur lequel vous porteriez votre choix ?”.
La Ligue renouvelle ce genre de consultation en 1936 auprès des visiteurs de l’exposition à la Galerie de la Gazette des beaux-arts.
Il s’agit ici de s’exprimer sur une soixantaine de statues photographiées par Roger Schall (1904-1995). Selon la Ligue, ce type de monuments s’est multiplié avec excès dans la capitale sous la Troisième République, le régime désirant ainsi célébrer ses grands hommes.
Voici le résultat du vote, publié le 11 juin 1936 dans Comœdia (article ci-contre) :
A titre d’exemple, les éléments en bronze du monument à Gambetta, qui reçoit le plus de suffrages, connaissent le même destin que de nombreuses statues et sont fondus au cours de la Deuxième Guerre mondiale ; seule une partie du groupe central est aujourd’hui visible dans le 20e arrondissement. Nous vous laissons mener l’enquête pour les 9 autres statues du palmarès !
Ce carton d’invitation rejoindra notre riche collection d’éphémères diffusés par les galeries d’art parisiennes, actuellement en cours de reclassement et d’inventaire.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Séverine Montigny (16 janvier 2023). Focus sur quelques acquisitions du département des Éphémères en 2022. L'échauguette. Consulté le 8 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/lxfi
