Les débuts de l’hôtel d’Angoulême-Lamoignon (1559-1619)

La Bibliothèque historique est installée depuis 1969 dans l’hôtel de Lamoignon, aussi appelé hôtel d’Angoulême : la construction du corps de logis principal, immédiatement visible dès que le visiteur franchit le portail de la cour, a en effet longtemps été attribuée à Diane de France, duchesse d’Angoulême et fille naturelle du roi Henri II.

Si Diane y habite à partir de 1611, l’histoire de cette bâtisse est en réalité plus ancienne.

Avant Diane d’Angoulême

L’histoire de l’hôtel débute avant même la pose des premières pierres, avec la constitution de la parcelle sur laquelle est ensuite bâti l’hôtel particulier. Cette initiative peut être attribuée à Claude Tudert, conseiller au Parlement de Paris, qui rachète cinq parcelles au prieuré Sainte-Catherine en 1545 : cette année-là, les religieux du prieuré décident en effet de mettre à la vente plus de 33 000 m² de terrains agricoles s’étendant du rempart de Philippe-Auguste au parc des Tournelles. Cette acquisition n’a rien d’original et participe à l’urbanisation croissante du Marais au cours du 16^e siècle, afin de faire face à une pression démographique de plus en plus importante. Le Marais est alors un quartier particulièrement en vue puisque plusieurs familles importantes, comme les Montmorency, y établissent leur résidence principale¹.

À la mort de Claude Tudert, le terrain passe entre les mains de François de Pisseleu, évêque d’Amiens, qui entame la construction de l’hôtel tel que nous le connaissons aujourd’hui : cette paternité, attribuée dans un premier temps à Diane de France, a été rétablie récemment grâce aux travaux de Guy Michel Leproux. François de Pisseleu passe probablement commande en 1559 auprès du célèbre architecte Philibert Delorme pour réaliser cet hôtel particulier : plus connu pour ses réalisations palatiales comme le château d’Anet ou de Fontainebleau, ce dernier a aussi œuvré dans Paris notamment à l’hôtel des Tournelles, anciennement situé au nord de la place des Vosges. Aucune archive ne prouve formellement que Delorme est l’architecte derrière l’agencement de l’hôtel mais plusieurs indices architecturaux au sein du bâtiment ne laissent planer aucun doute. Les pilastres d’ordre colossal, la disposition de la charpente d’origine ou encore le décalage des fenêtres sur cour et sur jardin sont en effet autant de procédés chers à Delorme, qu’il décrit en détail en 1561, dans son traité d’architecture “Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz“; son palais idéal présente ainsi de fortes similarités avec le chantier engagé deux ans plus tôt au futur hôtel Lamoignon. Delorme imagine un grand corps de logis, flanqué de deux pavillons aux extrémités donnant sur le jardin et d’un comble, et s’entoure d’artisans qui ont déjà travaillé pour lui sur différents chantiers royaux, notamment les menuisiers Vaubertand, Leduc et Sacré qui sont chargés de réaliser la charpente et le plancher².

Ce programme ambitieux s’avère cependant difficile à respecter : dans un premier temps, les caves et le plancher du rez-de-chaussée sont érigés mais les travaux prennent du retard car les artisans charpentiers sont mobilisés par d’autres chantiers dans le quartier. Cet état de fait explique que seuls les étages de l’aile sud (qui correspond à l’entrée de la salle de lecture actuelle) sont dans un premier temps élevés. Cette première phase de travaux, qui s’achève en 1561, laisse donc un bâtiment inhabitable en l’état. Les travaux sont ensuite complétés à partir de 1576 lorsque Jean Bodin de Montguichet rachète l’hôtel à la famille Pisseleu. Ce dernier finit d’ériger l’escalier central, indispensable pour pouvoir accéder à l’étage ; il ajoute également au projet initial de Delorme un pavillon sur l’aile sud, donnant sur la cour. Il est enfin le premier à édifier les espaces dédiés aux domestiques, avec la création d’écuries dans la cour, le long de la rue Pavée³.

Ce premier état de l’hôtel d’Angoulême se maintient jusqu’à la reprise des travaux par Diane en 1611 et apparaît donc dans le plan de Paris de François Quesnel en 1609 : on distingue nettement l’hôtel, à l’ouest de la place des Vosges (à l’époque place Royale), à côté de la mention “D’E[n]goulême”. À cette date, l’hôtel d’Angoulême, beaucoup plus étroit, a donc presque l’apparence d’une tour.

Diana’s touch

Lorsque Diane de France, faite duchesse d’Angoulême par Charles IX en 1582, rachète cet hôtel particulier à Bodin de Montguichet en 1584, elle hérite donc d’un ensemble encore asymétrique. Tandis que l’aile sud du corps de logis a été entièrement bâtie, et même agrandie par rapport aux plans initiaux de Delorme, toute l’aile nord reste encore à construire. L’achat de cet hôtel est en tous cas stratégique pour la duchesse d’Angoulême : elle-même a longtemps habité à l’hôtel Damville-Montmorency et sa demi-sœur, Marguerite de France, est propriétaire de l’hôtel de Birague, rue Saint-Antoine.

Afin de pouvoir surveiller de plus près la reprise des travaux, Diane s’installe dans un logement de l’autre côté de la rue Pavée dont elle devient également devenue propriétaire. Dès 1586, elle a ainsi pour projet de faire installer l’eau courante dans son nouvel hôtel, en le raccordant aux tuyaux d’eau de la rue Saint-Antoine. Sa demande, accordée par le roi jusqu’en 1601 puis par le Bureau de la Ville, donne une idée des ambitions de la duchesse pour la tenue de l’hôtel : elle est autorisée à pomper 347 litres d’eau par jour, soit une quantité suffisante pour subvenir aux besoins d’une vingtaine de personnes et de plusieurs chevaux⁴.

Les travaux sur l’hôtel d’Angoulême ne recommencent cependant véritablement qu’en 1611, après la résolution de plusieurs conflits juridiques : l’hôtel est en effet grevé de rentes au profit de l’héritier de François de Pisseleu, un imbroglio juridique qui met près de 30 ans à se résoudre ! Une fois cette affaire résolue, Diane de France est donc pressée : loin de s’affranchir du programme de Delorme, la duchesse d’Angoulême se place au contraire dans les pas des précédents propriétaires et reprend scrupuleusement les plans dessinés cinquante ans plus tôt, ajoutant que les travaux doivent être terminés avant l’année 1612⁵. Le chantier le plus urgent reste bien évidemment l’achèvement de l’aile nord du corps de logis central. La façade, qui nous paraît si homogène aujourd’hui, est donc l’aboutissement de deux campagnes de travaux, un détail qui ne peut se percevoir qu’en examinant les maçonneries : les pierres utilisées dans l’aile sud sont ainsi légèrement plus petites que les plus récentes, utilisées dans l’aile nord.

Diane de France reprend également l’idée de Jean Bodin de Montguichet à savoir la construction d’un second pavillon sur cour, dans l’aile nord cette fois-ci. Pour marquer de son empreinte cette construction, Diane d’Angoulême fait cependant rajouter sur les pavillons de la cour ses emblèmes : elle fait ainsi figurer des chiens de chasse et des cerfs, emblèmes de la déesse romaine de la chasse avec qui Diane partage son prénom.

Une fois ces grands travaux achevés, la cour de l’hôtel d’Angoulême a cependant un aspect extérieur assez différent de ce qu’on lui connaît aujourd’hui. La façade de l’hôtel était probablement divisée par un perron d’entrée, qui venait se placer en-dessous du fronton central. .

L’aménagement intérieur de l’hôtel au début du 17^e siècle

Notre connaissance des premières décennies de l’hôtel Lamoignon ne s’arrête pas là : nous disposons en effet de l‘inventaire après décès de Diane de France qui permet de connaître l’aménagement intérieur de l’hôtel à la mort de la duchesse en 1619⁶. Comme il est d’usage dans la France d’Ancien Régime, des notaires se rendent en effet à son domicile et procèdent à l’inventaire de l’ensemble des objets et meubles contenus au sein de l’hôtel ; cet inventaire, réalisé pièce et par pièce, permet de restituer l’atmosphère de cet hôtel au début du 17^e siècle.

Outre les communs situés dans la cour, le corps de logis principal se décompose en plusieurs espaces, répartis autour du grand escalier central qui divise l’hôtel en deux ailes. Dans les caves, on retrouve une grande cuisine, un garde-manger ainsi qu’une salle commune et une paneterie ; au rez-de-chaussée, se trouvent une chapelle et plusieurs chambres utilisées par les proches de Diane d’Angoulême (ses dames de compagnie, son argentier, son aumonier, ses gardes) tandis qu’une grande salle compose l’autre moitié de l’hôtel⁷. Une moitié du premier étage abrite la chambre de Diane avec sa garde-robe, son cabinet privé et son oratoire ; l’autre partie de l’étage est une “chambre neuve” qui sert de pièces de réception. Enfin, les derniers étages sont divisés en des pièces plus petites, utilisées principalement comme espaces de rangements et de débarras.

Ces appellations de “chambres”, très génériques, ne doivent pas étonner : la spécialisation des pièces d’une maison n’apparaît en effet qu’au cours du 18^e siècle. Avant cette période, les pièces, disposées en enfilade, remplissent plusieurs fonctions au fil de la journée : chambre à coucher, lieu d’aisance, pièce de réception, bureau… L’aménagement intérieur doit donc pouvoir être adapté à ces différentes situations : cet état de fait explique l’importance des pièces de rangement dans l’inventaire après décès de Diane d’Angoulême, qui permettent d’entreposer les tables, chaises, tapisseries… sorties au gré des personnes invitées.

Ces poutres dans la salle de lecture constituent d’ailleurs l’élément intérieur le plus remarquable ayant subsisté jusqu’à aujourd’hui : mis au jour lors des travaux des restauration effectués en 1952, ce plafond dit “à la française” est contemporain de la dernière tranche de construction effectuée par Diane de France, dans les années 1610. Comme elle le fait sur les frontons à l’extérieur du bâtiment, Diane d’Angoulême commande un décor qui fait référence à la déesse de la chasse : on y retrouve le monogramme de Diane ainsi que des dessins de carquois et d’animaux. Trois sortes de décors différents peuvent d’ailleurs être relevés. Le premier, le plus important, est une série à fond rouge où figurent des petites têtes de Diane : cet ensemble se trouve à son emplacement d’origine. Au contraire, la série à fond bleu et la série à fond jaune ont été trouvées au premier étage de l’hôtel et n’ont été descendues qu’a posteriori, lors de la restauration de l’hôtel, afin de créer un ensemble esthétiquement plaisant⁸. Ce décor, qui a coûté plusieurs milliers de livres à faire réaliser, participe au prestige de l’hôtel au début du 17^e siècle et fait aujourd’hui partie des 80 plafonds “à la française” conservés à Paris.

1. Jean-Pierre Babelon, “L’urbanisation du Marais” dans Le quartier du Marais : déclin, renaissance, avenir, Cahiers du C.R.E.P.I.F, n°59, juin 1997 [↩]
2. Guy-Michel Leproux, “Philibert de l’Orme et l’architecture privée parisienne”, dans Philibert de l’Orme. Un architecte dans l’histoire, arts, sciences, textes, actes du LVII^e colloque international d’études humanistes (30 juin-4 juillet 2014), Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours, Brepols Publishers, 2015, p. 109-120 [↩]
3. Guy-Michel Leproux, « Les travaux exécutés par Jean Bodin de Montguichet à l’hôtel de Pisseleu en 1576 », dans Documents d’histoire parisienne, n°16, 2014, p. 21-28 [↩]
4. Charles Sellier, Anciens hôtels de Paris, Paris, Champion, 1910, p.368-369. [↩]
5. Isabelle Pébay et Claude Troquet, Les hôtels d’Angoulême sous Diane de France, dans La Rue des Francs-Bourgeois sous la direction de Béatrice de Andia et A. Gady, Paris, 1992, p. 90. [↩]
6. Cet inventaire a été entièrement publié dans l’ouvrage d’Isabelle Pébay et Claude Troquet, Diane de France et l’hôtel d’Angoulême en 1619, Éditions des Musées de la Ville de Paris, Paris, 1995. [↩]
7. Il reste difficile de déterminer l’emplacement exact de ces pièces : les auteurs placent indifféremment la grande salle dans l’aile nord (Alexandre Gady) ou dans l’aide sud de l’hôtel (Isabelle Pébay et Claude Troquet). [↩]
8. “La restauration de l’hôtel de Lamoignon. Architectes : Jean-Pierre Paquet,… Jean Crouzot,… André Vois”, dans La construction moderne, novembre-décembre 1960, 76e année ; n° 6 ,p. 42-48, 11 fig., plans [↩]

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