L’hôtel d’Angoulême-Lamoignon (1619-1774)
Charles Valois, nouveau propriétaire de l’hôtel d’Angoulême
Un bâtiment agrandi
À la mort de Diane d’Angoulême en 1619, cette dernière lègue son hôtel du 24 rue Pavée à son neveu, Charles de Valois, fils illégitime du roi Charles IX. Dès 1624, ce dernier entreprend d’agrandir le bâtiment pré-existant. Il passe ainsi un devis de maçonnerie pour rajouter une aile supplémentaire, dans le prolongement du pavillon nord de la cour. Le devis, passé auprès du maître François Boulé, prévoit la construction d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’un comble. Si le décor extérieur de cette aile reste assez minimaliste, avec des simples arcades au rez-de-chaussée et trois niches au premier étage, ce bâtiment se distingue surtout par sa tourelle d’angle qui est aujourd’hui un des symboles de notre établissement. À visée décorative, cette tourelle avait simplement pour but d’aider à identifier l’hôtel Lamoignon, située à un carrefour.
La circulation entre ces deux bâtiments est améliorée quelques années plus tard en 1640 lorsque Charles de Valois se met en relation avec l’architecte et ingénieur du Roi Jean Thiriot afin d’édifier un escalier en pierre. Ce dernier se situait pour partie dans la nouvelle aile et pour partie dans le pavillon nord, et fut détruit au 19e siècle, pour être remplacé par le nouvel “escalier d’honneur” de la bibliothèque. Cet escalier conduit quoiqu’il en soit à la sous-utilisation progressive, puis à la disparition, de l’escalier central de l’hôtel d’Angoulême édifié à la fin du 16e siècle (Escalier d’honneur de Charles de Valois, Bibliothèque historique, CPA-3410).
En parallèle de ces aménagements, attestés par des contrats et des devis, Charles de Valois a sans doute été à l’origine d’autres modifications, aujourd’hui disparues. Une gravure signée Israël Silvestre et un relevé en frise de la façade de l’hôtel d’Angoulême effectué par Robert de Cotte au tout début du 18e siècle témoignent ainsi de l’achèvement de plusieurs chantiers au milieu du 17e siècle, portant sur la façade côté jardin : on y distingue nettement la construction d’un perron et d’un escalier ainsi que la création de deux nouveaux pavillons au nord et au sud. La façade principale est également rallongée, avec l’ajout d’une extension qui se situait à l’emplacement de l’actuel accueil de la bibliothèque1.
En lien avec les modifications apportées à la façade côté jardin, une toute attention est également portée aux espaces extérieurs qui s’étendaient à l’époque jusqu’à la rue de la Culture Sainte-Catherine (actuelle rue de Sévigné) : plusieurs espèces d’arbres sont plantées, à savoir des myrtes, des orangers, des grenadiers et des lauriers-roses.
À ces travaux de prestige s’ajoutent enfin la reconstruction des bâtiments des communs et l’acquisition de nouvelles parcelles de terrains de l’autre côté de la rue Pavée afin d’y installer des écuries et loger les 49 chevaux du duc. Le plan de Gomboust de 1652 (ci-contre) offre ainsi une représentation assez fidèle de l’apparence de l’hôtel d’Angoulême au milieu du 17e siècle : le bâtiment, beaucoup plus grand, s’étend sur l’actuelle cour haute, dont les limites sont cloisonnées par des bâtiments de service.
L’agencement intérieur
Comme pour Diane d’Angoulême, nous disposons de l’inventaire après décès de Charles de Valois qui nous permet aujourd’hui de connaître plus en détail l’intérieur de son hôtel particulier à sa mort en 1650. Cet inventaire après décès ne porte cependant que sur le grand hôtel d’Angoulême et ne décrit malheureusement pas les fonctions des pièces ou le mobilier présent dans la nouvelle aile nord2.
L’agencement intérieur de l’aile principale change peu par rapport à l’état enregistré à la mort de Diane d’Angoulême : les grandes pièces ne sont souvent pas assignées à une fonction spécifique et la chambre de Charles de Valois, au rez-de-chaussée, sert également de pièce de réception.
Quelques détails témoignent cependant de l’adaptation des espaces afin de mieux correspondre aux goûts éclectiques de Charles de Valois : les cabinets, qui servaient quelques décennies plus tôt d’espaces de rangement pour le mobilier, sont ainsi réutilisés afin d’y afficher ses pièces de collection (monnaies, bustes, cartes, tableaux etc …). C’est notamment dans l’un de ces cabinets, attenant à la chambre du duc, que se situait la bibliothèque personnelle de Charles de Valois, estimée à 2467 volumes, dont un des exemplaires est conservé à la Bibliothèque historique (cote : Réserve 551585)3.
Une pièce au deuxième étage sert également quasi-exclusivement de salle d’armes, tandis que ces dernières étaient dispersées dans plusieurs pièces du temps de Diane d’Angoulême. Cet inventaire après décès offre donc une dernière “photographie” de l’intérieur de l’hôtel, avant les grands bouleversements du 18e siècle.
Les Lamoignon aux manettes (1684-1774)
À la mort de Charles de Valois en 1650, l’hôtel reste encore quelque temps dans les mains de sa famille : son fils, le comte d’Alais, y demeure jusqu’en 1653 et sa veuve, François de Nargonne, y réside jusqu’en 1658. À partir de cette date, cette dernière prend cependant la décision de louer l’hôtel d’Angoulême à la famille Lamoignon, qui finit par racheter tout le bâtiment en 1684. Malgré ce changement de propriétaire, l’hôtel continue d’être attaché à la mémoire des Angoulême et ne gagne officiellement le titre d'”hôtel Lamoignon” que dans les années 17204. Les Lamoignon restent ensuite propriétaires de l’hôtel jusqu’en 1774, bien qu’eux-mêmes décident de le louer à partir de 1738.
Pendant ce quasi siècle de propriété, les Lamoignon investissent afin de faire évoluer l’hôtel avec leur temps, d’autant que de nombreuses réparations sont à prévoir lorsqu’ils récupèrent l’hôtel en 1684, comme en atteste la “prisée” effectuée un an plus tôt5.
(Re)mettre l’hôtel au goût du jour
Au début du 18e siècle, Chrétien François de Lamoignon et sa femme, Marie-Jeanne Voysin, cherchent à faire agrandir l’hôtel, sans doute à la suite du mariage de leur fils en 1707. Lamoignon, qui occupe la charge prestigieuse de président à mortier du Parlement de Paris depuis 1690, se met en contact avec la célèbre agence d’architecture tenue par Hardouin-Mansart et son beau-frère Robert de Cotte. Un premier projet, dont il reste un plan conservé à la Bibliothèque nationale de France, est imaginé mais ne voit finalement jamais le jour : trop ambitieuse, l’extension envisagée nécessitait notamment de revoir le tracé de la rue Pavée afin d’agrandir la cour haute dédiée aux communs et d’en faire la nouvelle cour d’honneur (Bibliothèque nationale de France, Plan de l’Hôtel de Lamoignon et de la basse-cour vis-à-vis : [dessin], accessible sur Gallica).
Un projet plus simple est donc retenu, bien qu’il soit difficile à dater avec précision car nous ne possédons pas de contrats de maçonnerie. Les deux pavillons donnant sur le jardin sont détruits et la façade sur le jardin est simplifiée et uniformisée, en y perçant des toutes nouvelles fenêtres, plus étroites et nombreuses6.
De ce premier projet, reste également la construction d’une extension de l’aile de Charles de Valois sur le jardin : le décor classique de cette extension, encore visible depuis la rue des Francs-Bourgeois, est sous l’influence de l’architecture du Grand Siècle. Cette extension, qui apparaît sur les plans à partir du milieu du 18e siècle, date donc sans doute de cette même décennie 1710.
Un portail monumental à la gloire de la famille Lamoignon
Le chantier le plus visible aujourd’hui reste cependant la construction du portail monumental en 1717 à l’initiative de la veuve Lamoignon. À partir de cette date, la création de cette entrée acte l’accès à l’hôtel Lamoignon via la rue Pavée comme le montrent notamment les almanachs. Il n’est pas certain que l’accès se soit toujours fait par la cour : l’entrée dans l’hôtel a également pu se faire par le jardin dans les décennies précédentes comme sembleraient en attester des adresses mouvantes (rue Pavée, rue des Francs-Bourgeois, rue de la Couture Sainte-Catherine …).
Ce portail, commandé par la veuve Lamoignon, a pour objectif de glorifier la dynastie familiale. Côté cour, un médaillon en bas-relief porte le chiffre des Lamoignon ; côté rue, directement visible de tous les passants, deux putti symbolisent la vocation professionnelle de la famille. Le premier porte un miroir et incarne la Vérité ; le second tient un serpent et symbolise la Prudence, un binôme qui permet ainsi d’évoquer les qualités fondamentales attendues d’un juge.
Côté rue, le médaillon portait cependant une inscription légèrement différente à l’origine : plutôt que le nom de l’hôtel, la veuve Lamoignon y avait fait inscrire le nom et la fonction de son beau-père, Guillaume de Lamoignon, premier homme de la famille à devenir président du Parlement de Paris en 1658.
Ce portail monumental apparaît sur le plan de Turgot réalisé en 1745, aux côtés des autres modifications apportées quelques décennies plus tôt par les Lamoignon. On y aperçoit l’extension au nord dans le jardin, ainsi que tout le bâti de la cour haute, aujourd’hui totalement disparu : l’extension méridionale de l’hôtel réalisée par Charles de Valois, deux ailes de communs et le passage cocher, plus bas, qui isole totalement cette partie de la cour d’honneur.
Après ces importants travaux réalisés dans les premières décennies du 18e siècle, les ambitions des Lamoignon se tassent, en même temps qu’ils désertent progressivement l’hôtel, désormais habité par des locataires. La famille se contente désormais de travaux d’entretiens et de réparations confiés à l’expert juré Pierre Bourgeois7.
Un hôtel particulier typique du siècle des Lumières
Une nouvelle distribution intérieure
L’hôtel ne se contente pas de changer d’apparence extérieure : alors que la distribution intérieure des pièces avait finalement peu bougé depuis le début du 17e siècle, une toute nouvelle configuration est imaginée au cours du 18e siècle afin de répondre aux nouvelles attentes des propriétaires. Plutôt qu’une succession de grandes pièces aux fonctions indéfinies, la mode est désormais à la création d’espaces souvent plus petits et spécialisés, qui permettent de respecter l’intimité des familles. Cette division de l’espace devient également nécessaire lorsque l’hôtel est loué à partir de 1738, conduisant parfois en la cohabitation temporaire de plusieurs foyers au sein du bâtiment.
Ce nouvel aménagement est détaillé dans différents contrats notariés, notamment un état du bâtiment réalisé en 17548. Cet inventaire est très sommaire pour le rez-de-chaussée, se contentant d’indiquer la présence d’un oratoire, mais un plan de l’hôtel dressé sous la Révolution, ci-contre9, permet de se faire une meilleure idée des transformations de cet étage dans les décennies précédentes : l’escalier qui divisait cette aile en deux parties symétriques au début du 17e siècle a disparu et les pièces, de dimensions réduites, se sont multipliées.
L’inventaire est plus prolixe à propos du premier étage. En 1754, on y recense deux chambres avec un plafond peint représentant Jupiter d’un côté et Flore de l’autre. Une autre chambre est décrite comme ayant un “plafond à l’italienne”, une cheminée et des moulures. Une chapelle se trouvait peut-être aussi à cet étage : une inscription “Dieu te regarde pêcheur” est encore visible de nos jours, gravée dans la pierre.
Les fonctions de ces différentes pièces ne sont pas figées et évoluent au fil des usages des différents propriétaires et locataires. À la fin du 18e siècle par exemple, Charles-Antoine Moriau, locataire de l’hôtel, aménage toutes les pièces du premier étage pour y installer sa bibliothèque.
Outre l’inventaire de 1754, nous disposons également de contrats d’entretien et d’artisans qui permettent de connaître d’autres pièces : comme toutes les demeures cossues de l’époque, l’hôtel Lamoignon dispose ainsi d’un cabinet d’aisance, sans qu’il soit possible d’en donner l’emplacement exact.
Un décor survivant : le Salon Doré
Tous ces décors intérieurs ont aujourd’hui disparu à l’exception du “Salon doré”. Cette pièce, conservée en l’état depuis le début du 18e siècle, est décrite en 1936 et classée au titre des Monuments historiques l’année suivante. Trouvée au second étage du bâtiment, la pièce est finalement déplacée et remontée au premier étage entre 1942 et 194910.
La fonction de cette pièce n’a pas été clairement identifiée mais le décor général, notamment le mélange des styles doriques, ioniques et corinthiens sur les chapiteaux, peut être daté de la fin du 17e siècle, soit le moment où les Lamoignon prennent possession des lieux.
- Alexandre Gady, L’Hôtel Lamoignon dans la Rue des Francs-Bourgeois, p.73-75 [↩]
- Robert Dauvergne, « Une grande demeure au Marais en 1650 : l’hôtel du duc d’Angoulême », in Bull. de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France [↩]
- Cette bibliothèque fut ensuite déplacée par son fils au château de Chaumont, près de la Guiche, léguée au couvent des Minimes de cette même ville puis dispersée à la Révolution. [↩]
- Cette lente évolution est ainsi perceptible à la lecture des almanachs [↩]
- Archives Nationales, Z 13 361 et Bibliothèque historique, Ms NA 123 [↩]
- Alexandre Gady, L’Hôtel Lamoignon dans la Rue des Francs-Bourgeois, p.76-78 [↩]
- Archives nationales, chartrier Malesherbes 399AP/6 et 7 [↩]
- Archives Nationales, Chartier Malesherbes, 399AP/151 [↩]
- Plan de l’hôtel dressé sous la Révolution, F31/20/110 [↩]
- Hôtel Lamoignon, Aménagement de la Bibliothèque d’Histoire de la Ville de Paris, Projet de MM. Creuzot, Paquet & Vois, architectes S.A.D.G., 2e étude, notice, 10 février 1942, dossier dactographié [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julie Duprat (13 avril 2023). L’hôtel d’Angoulême-Lamoignon (1619-1774). L'échauguette. Consulté le 8 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/lxfp
Ces 2 articles sur l’histoire de l’Hôtel Lamoignon sont très intéressants, et apportent beaucoup de nouveautés par rapport à ce qu’on savait en 2017.
Merci.