Le Sport à Paris (1820-1950) : des distractions mondaines au temps du sport-spectacle
Cent ans après les JO de 1924, Paris accueille à nouveau cette grande manifestation sportive internationale. Comme beaucoup d’autres institutions parisiennes, c’est l’occasion pour nous d’explorer le thème du sport.
Les documents présentés dans cette exposition sont principalement issus de notre Département des documents éphémères. Cette collection de « petits documents du quotidien » a été constituée à l’initiative de Marcel Poëte, le directeur de la Bibliothèque historique au début du 20e siècle. Ils datent des 19e et 20e siècles.
Au cours de l’année dernière, nous avons inventorié et numérisé les éphémères et les affiches portant sur le sport. Plusieurs milliers de documents sont à présent en ligne.
Ces documents sont de natures très variées : programmes de manifestations sportives – assauts, régates, concours hippiques… –, cartes de membres d’association, brochures, prospectus, billets d’entrée… Vous pourrez aussi découvrir dans ce parcours un magnifique jeu de société, ainsi que des affiches, des revues et des livres anciens, et quelques coupures de presse.
Loin de permettre une histoire complète du sport à Paris, cette sélection nous permet d’en évoquer les acteurs, principalement des associations et des gestionnaires d’équipement, les lieux – stades, gymnases, piscines, hippodromes, vélodromes… – et les évènements. – championnats, grands prix, concours, mais aussi fêtes et galas.
Les sports représentés ici sont également très variés. Nous vous proposons d’abord une plongée aux origines du sport à Paris, avec le développement de la gymnastique et des sports liés à la préparation militaire, notamment l’escrime, la lutte et le tir, ainsi que des disciplines réservées à une élite mondaine, tel que le patinage ou l’aviron.
En raison de la forte proportion de documents portant sur ces sports dans notre collection d’éphémères, l’hippisme, le cyclisme et la natation font l’objet de focus plus développés et illustrent l’extension de la pratique sportive dans la capitale.
Enfin, un dernier ensemble de documents évoquent les manifestations internationales accueillies et organisées par Paris durant la première moitié du 20e siècle. Et elles sont nombreuses !
Aux origines du sport : quelques ouvrages de référence
Le Sport à Paris, d’Eugène Chapus (1800-1877), édité en 1854, est l’un des plus anciens textes sur le sujet. Il porte à la fois sur les disciplines sportives et les jeux pratiqués à cette époque par une élite, sur le modèle anglo-saxon : turf, chasse, boxe, billard, natation, patin, échecs, whist, etc.
Le Baron de Vaux fait éditer en 1885, Femmes de sport. Les dames ne sont guère présentes dans les gymnases, les salles d’armes ou les hippodromes, sinon comme spectatrices des performances masculines. L’auteur dresse ici le portrait d’une vingtaine de femmes de l’aristocratie pratiquant les sports de l’époque (tir, équitation, patinage, etc.) dans un esprit mondain et en dilettante.
L’ouvrage Sports et jeux d’adresse, publié en 1904 par Henry-René d’Allemagne (1863-1950), bibliothécaire à la bibliothèque de l’Arsenal, distingue « jeu » et « sport », réservant le premier terme à des activités enfantines. Mais, la frontière entre les deux domaines reste floue.
Les journaux et revues de sport apparaissent et se multiplient à partir de la fin du 19e siècle. La Revue sportive est un exemple de cette presse généraliste ancienne : elle apparaît en 1903. Mais la tendance est plutôt aux titres spécialisés dans un sport en particulier ; l’hippisme notamment donne naissance à de nombreux titres.
Aux origines du sport : gymnastique et préparation militaire
Dès le début du 19e siècle, on prête à la gymnastique des vertus éducatives et hygiéniques. Francisco Amoros (1770-1848) l’introduit en France sous la Restauration, au sein de son école militaire de Joinville-le-Pont. En 1869, Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, crée le Certificat d’aptitude à l’enseignement de la gymnastique. Dans le dernier quart du 19e siècle, de nombreuses sociétés gymniques font leur apparition, de l’Union des sociétés de gymnastiques de France fondée par Eugène Paz en 1873, à la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, créée entre 1898 et 1903.
Des « écoles » privées s’ouvrent également, comme celle du Professeur Desbonnet, qui s’adresse à tous les publics, enfants, jeunes gens et adultes.
Sous la 3e République, après la défaite de Sedan, l’esprit est à la revanche et la gymnastique revêt un aspect patriotique. Le service militaire passe de 5 à 3 ans en 1889. Aussi, de nombreuses sociétés de préparation militaire se créent car il faut former les corps dès l’enfance. Ce Précis de tir à l’usage des écoles, lycées, collèges et écoles normales de 1908, rédigé par un capitaine, en témoigne.
Sports de combat
Au 19e siècle, l’escrime est pratiquée dans les salles d’armes mais aussi dans les écoles de gymnastique comme l’École de gymnastique et d’escrime de Joinville à partir de 1872, par exemple. Elle fait souvent partie des disciplines enseignées au cours des préparations militaires. La Société d’encouragement à l’escrime date quant à elle de 1882.
Le maître d’armes Alphonse Kirchhoffer (1846-1890) marque la profession durant plusieurs décennies. Il est réputé pour son enseignement et ses qualités personnelles. Son fils lui succède.
Boxe et lutte font aussi partie des sports de combat enseignés aux élites ou aux futurs soldats. Mais ces disciplines sont également pratiquées par des professionnels et donnent lieu à de véritables spectacles.
En lutte, le traité publié par le Français Léon Ville, en 1891 fait référence. La discipline entre avec succès dans le programme des Jeux olympiques modernes dès leur première édition à Athènes en 1896.
La boxe anglaise est codifiée en 1865 par un journaliste britannique, John Graham Chambers. Ces nouvelles règles lui donnent un statut officiel et ce sport se hisse au rang des disciplines olympiques aux JO de Saint-Louis en 1904.
Le public parisien se montre très friand de ces championnats de lutte et de boxe ; de véritables salles de spectacles les accueillent comme l’Hippodrome de la place de Clichy ou le Palais des sports.
Le patinage : entre sport et divertissement
Le patinage sur glace fait partie des sports déjà pratiqués au 19e siècle par une certaine élite sociale. Des clubs comme le Club des patineurs de Paris et des sociétés privées gérant des patinoires ou des « skating rinks » font alors leur apparition.
Le Skating rink des Champs-Élysées est un des plus anciens à Paris. Le jeu présenté dans cette vitrine le représente très certainement. Ce lieu de divertissement a fermé ses portes en 1898. Ouvrent ensuite le Pôle Nord et le Palais de glace des Champs-Élysées, pour les plus prestigieux.
Ces skating rinks sont de vrais lieux de divertissement, avec orchestre, buffet et évènements festifs : pour la mi-Carême 1913, l’American skating rink Saint-Didier dans le 16e arrondissement propose un grand carnaval masqué… sur patins à roulettes !
Durant l’Entre-deux-Guerres, de plus grandes salles parisiennes accueillent des spectacles sur glace : ici, la Fête de la glace, un gala de charité au Palais des sports en 1932.
Aviron et jeu de paume : des disciplines pour l’élite ?
L’aviron est un sport pratiqué dans les public schools anglaises au 19e siècle. Encore aujourd’hui, l’équipe d’Oxford se mesure à celle de Cambridge tous les ans lors de la Boat race, sur la Tamise.
La Fédération française d’aviron naît en 1890. Dès lors, des courses ou régates sont organisées par des clubs ou des cercles nautiques.
L’annuaire présenté ici répertorie toutes les sociétés françaises d’aviron en 1935. Elles sont très nombreuses, jusque dans les plus petites communes, témoignant d’une certainement diffusion de la discipline. Il faut dire que la France est championne d’Europe depuis 1931.
Le jeu de paume a une histoire beaucoup plus ancienne. Au 14e siècle, le prévôt de Paris se voit obligé de légiférer pour fixer les jours où le jeu de paume peut être pratiqué. En effet, du roi aux enfants, y compris auprès des femmes, ce jeu remporte un immense succès dans la société parisienne. Tandis que la noblesse pratique la courte paume en intérieur, les plus pauvres jouent à la longue paume en extérieur.
Au 19e siècle, les salles de jeu de paume sont encore assez nombreuses dans la capitale : Passage Cendrier, jardin des Tuileries, etc. Mais le tennis détrône ensuite petit à petit ce jeu ancien.
En selle !
L’hippisme s’ancre dans des pratiques sociales et culturelles très anciennes. C’est certainement dans cette discipline que la première société française du domaine sportif voit le jour, au 19e siècle : la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France, lointain ancêtre de France-Galop, naît en effet, en 1833. Ce type de sociétés a pour vocation d’organiser des courses et, par voie de conséquence, se voir confier la gestion des hippodromes, comme celui de Longchamp, aménagé en 1857.
La monographie présentée ici, Observations sur les courses du Champ-de-Mars… de Armand Seguin, témoigne de la tenue de courses sur ce site dès 1822. Plusieurs grands prix datent d’ailleurs du 19e siècle, comme le Prix de Diane créé en 1843.
Des concours sont également organisés dès le 19e siècle pour sélectionner les chevaux de service, notamment dans le domaine militaire. C’est la vocation de la Société hippique française fondée en 1865, organisatrice du Concours central de Paris. Montures et cavaliers s’y mesurent dans diverses disciplines : dressage, attelage, saut d’obstacles, endurance, etc. En 1910, la Société hippique française, dont les membres appartiennent à la bonne société parisienne, organise un carrousel militaire au profit des victimes de l’inondation de la Seine.
C’est sans doute dans le domaine des courses hippiques que les paris sportifs sont les plus développés, et depuis longtemps. Les agences, les périodiques spécialisés, et … les bookmakers prospèrent. Les pouvoirs publics règlementent le secteur en 1891, en adoptant le principe du pari mutuel, et en confiant sa gestion aux sociétés de courses ; autorisées en 1930 à enregistrer les paris en dehors des hippodromes, elles créent alors le PMU.
En selle ! (bis !)
À la fin du 19e siècle, le cyclisme est certainement le sport le plus populaire en France. Les particuliers font un usage de plus en plus quotidien de la « petite reine ». Dès 1860, des carrossiers et des fabricants de pneus de plus en plus nombreux vantent les performances de leurs modèles. En parallèle, des cours de bicyclette sont donnés dans des manèges ou des « établissements vélocipédiques », comme le Palais-Sport. Des sociétés voient aussi le jour, comme l’Union vélocipédique de France en 1881.
À cette même époque, les particuliers doivent être munis d’une autorisation de circuler pour se déplacer à vélo dans Paris, apposer une plaque sur leur bicyclette et régler une redevance mensuelle.
Des épreuves cyclistes sont introduites dans les JO modernes dès 1896. En 1903, le journal L’Auto annonce la création d’une grande épreuve cycliste, le Tour de France sur route, dont Paris est la ligne d’arrivée depuis les origines. C’est juste avant la Première Guerre mondiale, en 1913, qu’apparaît la course sur piste la plus populaire de la capitale, les Six jours de Paris, qui se déroule au Vélodrome d’hiver de Paris, rue Nélaton, dans le 15e arrondissement, jusqu’en 1958.
Nager à Paris
Dans le sillage des écoles de natation établis sur la Seine depuis l’Ancien Régime, la création des premières vraies piscines parisiennes à la fin du 19e siècle sont des initiatives privées. Mais on les fréquente davantage pour se détendre que pour réaliser des performances. La natation entre au programme des JO dès l’édition en 1896.
En septembre 1905, la Société nationale d’encouragement à la natation organise une traversée de Paris à la nage, du pont National au viaduc d’Auteuil. Les femmes sont admises pour la première fois à une épreuve de natation : la discipline est l’une des rares à être jugées acceptables, voire bénéfiques, pour les jeunes filles. Seule l’Australienne Annette Kellerman y participe ; elle arrive en 3e position sur 17 participants !
C’est à partir de l’Entre-deux-Guerres que les pouvoirs publics décident la construction d’équipements sportifs dans les grandes villes. La piscine de la Butte-aux-Cailles, par exemple, est inaugurée quelques semaines avant les JO de Paris de 1924.
Devant l’enthousiasme des citadins pour les piscines, des entrepreneurs privés continuent d’ouvrir des lieux de divertissement pour un public plutôt aisé, où sont regroupés piscine, hammam, bar ou encore restaurant, comme le Lido sur les Champs-Élysées ou le Neptuna, « la plage des boulevards ».
Depuis, les piscines municipales se sont multipliées ; on en compte 26 en 1984, et 42 actuellement.
Un hippodrome dans Paris ?
Comme le Petit et le Grand Palais, l’hippodrome de Montmartre est construit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.
Lors de l’inauguration, un spectacle grandiose intitulé Vercingétorix regroupe sur scène 850 figurants et 120 chevaux, devant un parterre de 7 000 personnes.
Il n’appartient pas à proprement parler aux champs de courses de la capitale, installés sur de grands espaces en périphérie de la ville, mais il s’agit plutôt d’une salle de spectacle.
Ce bâtiment construit dans le quartier de la place de Clichy, possède une piste de 70 mètres de long sur 35 de large, où des spectacles de cirque, des pantomimes et des matches de football se succèdent pendant quelques années.
Mal géré, le site devient un skating-rink, puis il est racheté par Léon Gaumont en 1911. Il le transforme alors en cinéma de 6 000 places, le Gaumont-Palace.
Bienvenue aux Grandes Pistes fleuries Trousselier !
Cette affiche représente les pistes du vélodrome Trousselier situé entre Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret, au 1 place de Villiers. Un large éventail d’activités et de services y sont proposés : des leçons de bicyclette, de l’entraînement sur piste, des montagnes russes, mais aussi un restaurant. On peut également louer ou acheter des bicyclettes. La famille Trousselier est d’ailleurs constructeur de cycles. On peut aussi faire réparer son vélo.
Le paradis des cyclistes en quelque sorte !
Louis Trousselier (1881-1939) est cycliste lui-même. Durant son enfance, il aide ses parents, fleuristes boulevard Haussmann, en livrant des fleurs à vélo. Son père tient également un manège.
Très tôt, Louis Trousselier participe aux grandes courses de vélo : Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris, Paris-Brest-Paris, Tour d’Italie, etc. Et il arrive en tête du Tour de France de 1905.
Paris, ville hôte d’évènements sportifs
En 1900, Paris organise l’Exposition universelle internationale. Ce grand événement éclipse la tenue de la deuxième édition des Jeux olympiques modernes dans la capitale. Suite à des échanges tendus entre Pierre de Coubertin, président du CIO, et Alfred Picard, commissaire général de l’Exposition, l’expression « Jeux olympiques » est remplacée par « Concours internationaux d’exercices physiques et de sports ».
Après la Première Guerre mondiale, le stade Pershing est construit grâce aux aides anglo-américaines pour accueillir en 1919 les Jeux interalliés ; ces compétitions sportives ont pour vocation de célébrer la victoire de 1918.
Tout au long de l’Entre-deux-Guerres, se tiennent à Paris des manifestations internationales liées au sport, notamment les Jeux Olympiques de 1924. Voici l’une des deux affiches officielles, dessinée par Jean Droit. Imprimées en petit nombre, elles ont surtout pour vocation à être diffusées à l’étranger.
Autre exemple d’ouverture internationale à travers le sport et de développement du sport-spectacle, la ville de Courbevoie accueille vers 1930, une course automobile de Midget, des voitures de la marque MG ; l’un des modèles est lancé peu de temps avant au Salon de l’automobile de Londres.
Parmi les événements sportifs internationaux de l’Entre-deux-Guerres, Paris reçoit en 1935 le championnat international de cross-country. Les athlètes courent alors 14 km sur l’hippodrome d’Auteuil.
Dans le cadre des Fêtes de Paris, qui ont lieu chaque année dans les rues et avenues de la capitale, sont organisés en 1938, sous l’égide des maires et des conseillers municipaux, les Grands prix de Paris pédestres. 10 000 coureurs y participent. C’est un record. La presse applaudit devant ce niveau de participation, et surtout face au défi relevé d’avoir réuni trois fédérations différentes pour un même évènement. Cette affiche aux couleurs de Paris, illustrée d’un plan de la ville et de ses armes, met en valeur la capitale et ses différents arrondissements.
Durant les périodes de crise, en particulier la Seconde Guerre mondiale, les manifestations sportives peuvent prendre une dimension charitable.
En l’occurrence, il s’agit de collecter des fonds pour venir en aide aux prisonniers. Les Journées du prisonnier sont organisées sous l’égide du Secours national, créé durant la Première guerre mondiale, et du Comité central d’assistance aux prisonniers., émanation de la Croix-Rouge. Le Commissariat général à l’éducation générale et au sport de Vichy est, quant à lui, créé en décembre 1940. Cette affiche en appelle à la solidarité, au moment de Noël, en utilisant l’image du rugby, un sport où l’entraide est une valeur essentielle.
La deuxième affiche annonce un match de pelote basque, également en faveur des prisonniers de guerre. Chiquito de Cambo, de son vrai nom Joseph Apeztegi (1881-1950), est un joueur français renommé, qui se fait remarquer très jeune. En 1942, il s’oppose à un autre français, Saleza, au Fronton de Paris, l’un des lieux de pratique de la pelote basque de la capitale. C’est là aussi qu’il fait ses adieux au public en 1946. Le Fronton de Paris est d’ailleurs baptisé plus tard Fronton Chiquito-de-Cambo.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sylvaine Lambert (16 octobre 2024). Le Sport à Paris (1820-1950) : des distractions mondaines au temps du sport-spectacle. L'échauguette. Consulté le 8 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12jrh
