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Placards et affiches d’Ancien Régime

La Bibliothèque historique conserve environ 1 400 placards et affiches datant du milieu du 17e siècle à 1789. Bien que cet ensemble puisse sembler modeste comparé à d’autres collections prestigieuses telles que celles des Archives nationales ou de la Bibliothèque nationale de France, il témoigne de l’importance de ces imprimés éphémères dans l’espace public parisien, en particulier au 18e siècle.

Sous l’Ancien Régime, Paris, en tant que premier centre d’imprimerie en France, est un lieu essentiel de production et de diffusion d’affiches. Au siècle des Lumières, la prolifération de l’affichage touche l’ensemble des grandes villes d’Europe occidentale, soutenue par l’essor démographique d’une population urbaine de plus en plus alphabétisée, influencée par l’expansion du capitalisme et avide de nouveautés1.

Affiche, placard ?

Il convient d’abord de préciser la typologie de ces documents imprimés. Généralement de grandes dimensions, ceux qui nous sont parvenus sont le plus souvent imprimés au recto d’une feuille de papier blanc, plus rarement de papier de couleur. L’illustration y est rare, souvent limitée à des emblèmes officiels et à des lettrines ornées, obtenues par gravure sur bois.

La terminologie employée sous l’Ancien Régime pour désigner ces imprimés est fluctuante : affiches et placards semblent relativement synonymes aux yeux des contemporains, et l’on retrouve ce double usage dans les institutions chargées de nos jours d’en assurer la conservation. La première édition du Dictionnaire de l’Académie donne de ces deux termes les définitions suivantes :

Affiche : Placard, Feuille escrite ou imprimée, que l’on affiche. Affiche de Comediens. affiche pour des criées2.

Placard : Escrit ou imprimé qu’on affiche dans les places, dans les carrefours, afin d’informer le public de quelque chose. Afficher un placardOn a adverti le public par un placardUne ordonnance imprimée en placard, en forme de placard. Il se prend aussi, Pour un escrit injurieux qu’on rend public en l’appliquant au coin des ruës, ou en le semant parmi le peuple. Afficher des placards. semer des placards. Placard injurieux. placards seditieux3.

Une nuance apparaît : le placard semble davantage associé à des écrits polémiques ou séditieux, comme l’illustre l’affaire des Placards de 1534, épisode pendant lequel des écrits en faveur des idées de la Réforme et hostiles au catholicisme ont été “placardés” à Paris et dans plusieurs villes de France, jusque sur la porte de la chambre du roi François Ier à Amboise. Les placards séditieux sont cependant rares dans les collections conservées en bibliothèque, du fait de l’efficacité des réglementations de police visant à encadrer les affiches depuis le milieu du 16e siècle. Ces dispositions sont réaffirmées pendant la Fronde puis au 18e siècle, associant à Paris les forces de police et les membres de la corporation des imprimeurs-libraires4. Le terme “affiche” semble en comparaison plus neutre.

L’affiche à Paris sous l’Ancien Régime à travers la collection de la Bibliothèque historique

On a fait le choix de rassembler dans cet ensemble des documents imprimés produits pour un usage spécifique, c’est-à-dire destinés à un affichage public, officiel, informatif ou publicitaire. L’instrument de recherche décrit les affiches des 17e et 18e siècles conservées à la Bibliothèque historique, lesquelles sont regroupées par grandes thématiques et par producteur, notamment pour les documents émanant des institutions civiles et religieuses ; les affiches privées, comme les annonces de décès et de ventes, sont classées quant à elles de manière topographique. 

Constituée au fil des années depuis la fin du 19e siècle, la collection d’affiches d’Ancien Régime de la Bibliothèque historique résulte de provenances diverses. Une partie des affiches sont issues des collections Liesville et Read, données à la Ville de Paris ; d’autres ont été acquises en vente publique ou auprès de libraires, par lot ou à la pièce, mode d’acquisition plus fréquent aujourd’hui.

Publier les lois et les règlements : les affiches administratives

Les affiches administratives ou officielles constituent une première catégorie importante, à la fois symboliquement et matériellement, puisqu’elles sont l’émanation des autorités et qu’elles représentent quelques centaines d’affiches de la collection. Elles procèdent directement du pouvoir royal, sous la forme d’ordonnances, d’édits, de lettres patentes et de déclarations à portée législative ou réglementaire, à une époque où la séparation des pouvoirs exécutif et législatif n’existe pas5. L’affichage public de ces textes à portée administrative, faisant suite à leur lecture et proclamation dans différents lieux des villes, conforte leur légitimité car il permet qu’ils soient vus et connus de tous6.

Arrêt du Conseil d’Etat du Roi concernant les prévôts, baillis et sénéchaux, 1759, 2-AFF-000001

Cette catégorie couvre une diversité d’institutions de l’Ancien Régime siégeant à Paris : Parlement, Cour des Aides, Prévôté des marchands, Bailliage de l’Arsenal, Greniers à sel, lieutenance de police, etc. Les sujets abordés touchent à des aspects concrets de la vie urbaine : sécurité, circulation des personnes et des marchandises, prévention des maladies, réglementation des prix, règles de stationnement ou encore interdictions de baignade.

Les institutions religieuses au cœur de la cité

Les affiches produites par les autorités religieuses forment un deuxième ensemble remarquable. Sont représentés l’archevêché de Paris, l’Officialité (tribunaux ecclésiastiques) mais aussi quelques abbayes et églises telles que Sainte-Geneviève ou Saint-Germain-des-Prés. Les événements de la vie cléricale sont évidemment au cœur de ces documents : justice ecclésiastique, organisation de synodes et listes de membres, temps liturgiques, appel aux dons pour la construction de l’église Saint-Sulpice…

Les affiches informent le clergé comme les fidèles de l’organisation de messes, prières et processions. On trouve en particulier des processions en l’honneur de sainte Geneviève, en réponse aux nombreux malheurs du temps dont ces cérémonies fournissent indirectement le témoignage : “Les autorités et le peuple recouraient à la sainte aussi bien pour des motifs franciliens et régionaux, comme des pluies continuelles ou une épidémie, que pour des motifs nationaux tels que les guerres ou la santé du roi”7.

L’implication des clercs dans les conflits politiques et religieux de leur temps est aussi visible à travers les affiches. On note la présence d’un ensemble au sujet du cardinal de Retz, second archevêque de Paris et membre de la Fronde8 ainsi que diverses affiches au sujet des querelles doctrinales de la fin du 17e siècle.

Des affiches d’institutions plus variées

Les autorités politiques et religieuses ne sont pas les seules à informer le public. La collection donne ainsi à voir des exemples d’annonces de cours du Jardin des plantes ou des mandements de l’Université de Paris : ces affiches en latin s’adressent alors à un public choisi d’étudiants et de maîtres. Ce sont aussi les corporations de métiers de la Ville qui sont représentées à travers les statuts et listes de membres des diverses communautés.

Jardin du roi. Annonces de cours d’Antoine de Jussieu, 1747, BHVP, 4-AFF-000248

Les affiches privées, reflet du quotidien parisien

Les affiches dites “privées”, émanant de particuliers, forment la majorité des pièces conservées avant 1789. On y trouve plus de 900 annonces de décès et d’enterrement, ainsi qu’une cinquantaine d’affiches de ventes aux enchères ou publicitaires. Leur conservation tient notamment à leur usage comme faire-part transmis aux proches et relations du défunt ou de la défunte, mais aussi fréquemment en chemises de liasses9.

“Vous êtes priés d’assister au convoi et enterrement…”

Cette formule consacrée introduit le texte de l’ensemble des “placards mortuaires”, documents désignés également sous le terme de placards funéraires, affiches d’annonces de décès ou encore billets d’enterrement. Selon Mercier, il s’agit du seul type de placard, avec les annonces matrimoniales, qu’on peut imprimer et afficher sans privilège, ce qui pourrait expliquer sa profusion10.

La collection de la Bibliothèque historique remonte jusqu’en 1657 pour le plus ancien placard, même si la pratique d’afficher les annonces de décès et d’enterrement serait plus ancienne. Ces annonces sont en grande majorité parisiennes et ont été classées par paroisse. On trouve également quelques exemples provenant de villes situées dans le Nord et l’Est de la France. Si des personnalités figurent parmi les défunts mentionnés, tels le naturaliste Buffon ou Antoine Moriau, collectionneur, procureur de la Ville de Paris et ancien habitant de l’hôtel Lamoignon, la plupart des individus sont aujourd’hui des inconnus. Les professions, les titres et qualités mentionnés montrent cependant la notoriété qui était la leur et leur appartenance à des classes sociales élevées.

Jean de La Bruyère critique dans Les Caractères (1688) l’effet social des placards mortuaires, soulignant l’inflation de titres posthumes destinés à rehausser la condition du défunt aux yeux de la société. Ce faisant, il nous livre un témoignage sur la manière dont sont rédigés mais aussi perçus les textes de ces affiches :

Comment pourra-t-il soutenir ces odieuses pancartes qui déchiffrent les conditions et qui souvent font rougir la veuve et les héritiers ? Les supprimera-t-il aux yeux de toute une ville jalouse, maligne, clairvoyante, et aux dépens de mille gens qui veulent absolument aller tenir leur rang à des obsèques ? Veut-on d’ailleurs qu’il fasse de son père un Noble homme, et peut-être un Honorable homme, lui qui est Messire ?

La Bruyère, Les Caractères, “Des biens de fortune” [21].

L’aspect formel du billet d’enterrement intéresse cependant aussi d’autres commentateurs de la fin du 17e siècle : on le trouve moqué dans le Mercure Galant ou la Comédie sans titre d’Edme Boursault (1694), à travers les répliques du personnage de Boniface Chrétien, imprimeur. Ce dernier se vante d’être l’inventeur de billets agrémentés de petits ornements :

Mais, Monsieur, jusqu’icy les Billets necessaires

Pour inviter le monde aux convois mortuaires,

Ont esté si mal faits qu’on souffroit à les voir ;

Et pour le bien public j’ay tâché d’y pourvoir

J’ay fait graver exprès avec des soins extrêmes

De petits ornemens de Devises, d’Emblèmes,

Pour égayer la veuë, & servir d’agrémens

Aux billets destinez pour les enterremens.

Vous jugez bien, Monsieur, qu’embellis de la sorte

Ils feront plus d’honneur à la personne morte ;

Et que les curieux, amateurs des beaux arts,

Au convoy de son corps viendront de toutes parts.

La collection de placards de la Bibliothèque historique témoigne en effet de l’apparition d’une ornementation, d’abord modeste dans les années 1660-1670, puis plus soignée au 18e siècle. Les placards imprimés sont pourvus de lettrines gravées sur bois, au décor de plus en plus recherché dont la collection de la BHVP donne des exemples variés11. Certains graveurs, comme Papillon, signent même leurs compositions.

Un échantillon d’affiches témoignant de la vie quotidienne des Parisiens

Les affiches du 17e et 18e siècle offrent un fascinant aperçu de la vie quotidienne des Parisiens, témoignant des préoccupations commerciales et sociales de l’époque. Au-delà des avis officiels et des annonces funéraires, ces affiches esquissent un portrait de la société parisienne : remèdes vantés par des charlatans12, descriptions minutieuses de biens immobiliers à louer ou vendre, parfois assorties de notes manuscrites sur les conditions d’impression. Certaines affiches gardent des traces de leurs conditions de production d’affichage : ces petites annotations offrent une vision précieuse des pratiques commerciales et des logistiques de diffusion à Paris au 18e siècle.

La rareté des affiches de spectacles contraste avec leur abondante production13. Ces affiches témoignent également de la vitalité culturelle de la capitale, annonçant les spectacles à venir et les représentations populaires qui attiraient un large public. La Bibliothèque historique conserve cependant un exemple remarquable de réemploi d’affiches théâtrales pour habiller l’intérieur d’un coffret en bois, acquis en 202214.

Céphise ou l’erreur de l’esprit…, affiche de théâtre de 1788, Paris (BHVP, 4-AFF-001416).

Support éphémère par essence, l’affiche s’impose peu à peu comme un vecteur de visibilité et de légitimation des informations dans l’espace urbain. Elle s’offre comme un objet de culture matérielle et visuelle révélateur des sensibilités et pratiques sociales des Parisiens. C’est la fonction d’information publique qui permettra à l’affiche de jouer un rôle essentiel dans la diffusion des idées politiques pendant la Révolution française. De support réglementé, elle devient alors aussi instrument de mobilisation et de propagande, ce dont témoigne la riche collection d’affiches révolutionnaires, déjà évoquée dans ce carnet15.


Lien vers l’inventaire : https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/FRCGMNOV-751045102-APY


Image de couverture : affiche des Prévôts des marchands de Paris datée de 1732, [gravure de Jean-Michel Papillon ?], 4-AFF-000186.

  1. Natacha Coquery, Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe, 2011, CTHS []
  2. Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition (1694), en ligne. []
  3. Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition (1694), en ligne. []
  4. Laurent Cuvelier, La ville captivée, Affichage et publicité au XVIIIe siècle, Paris : Flammarion, 2024, p. 186-187. []
  5. Voir dans Gallica la page consacrée aux Actes royaux : https://gallica.bnf.fr/html/und/droit-economie/actes-royaux. []
  6. L. Cuvelier, La ville captivée, op. cit., p. 118. []
  7. M.-C. Gras, “Les processions en l’honneur de sainte Geneviève à Paris. Miroir d’une société (XVe-XVIIIe siècles)”, Histoire urbaine, 2011, vol. 3, n° 32, p. 5-30. DOI : 10.3917/rhu.032.0005. URL : https://shs.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2011-3-page-5 []
  8. BHVP, 4-AFF-001210 à 1214. []
  9. C’est notamment le cas de l’importante collection de placards mortuaires du Minutier central des notaires des Archives nationales. []
  10. L.-S. Mercier, Tableaux de Paris, tome quatrième, chapitre CCCVII “Les Affiches”, 1783. []
  11. L. Cuvelier, La ville captivée, op. cit., p. 71-73. []
  12. BHVP, 4-AFF-000263 à 4-AFF-000265. []
  13. L. Cuvelier, La ville captivée, op. cit., p. 73-77. []
  14. Voir l’article : https://bhvp.hypotheses.org/9922. []
  15. Voir le billet d’Olivier Bedoin consacré aux affiches de la période révolutionnaire conservées à la Bibliothèque historique : https://bhvp.hypotheses.org/4276. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Claire Daniélou (10 juin 2025). Placards et affiches d’Ancien Régime. L'échauguette. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/142uj


Claire Daniélou

Conservatrice des bibliothèques, responsable du département de l'Iconographie et des Cartes et plans de la BHVP

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