Les débuts des sports féminins à travers la presse écrite
Dans les années 1850, le sport moderne est importé en France depuis l’autre côté de la Manche. Apanage de l’élite dans un premier temps, il va devenir un des loisirs les plus populaires, répandu dans toutes les couches de la société. Durant cette période, naît le mouvement sportif féminin qui connaît une histoire tumultueuse en s’inscrivant dans le long combat pour l’égalité hommes-femmes. Ainsi, dès le début du 20e siècle, âge d’or du féminisme en France, certaines militantes comme la duchesse d’Uzès, Camille du Gast ou encore les aviatrices Hélène Boucher et Maryse Bastié font du sport un moyen d’émancipation de la femme.


Ayant hérité de la bibliothèque de Marie-Louise Bouglé, la Bibliothèque historique conserve dans ses collections des documents, dont des périodiques, qui retracent l’évolution des sports féminins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Les pratiques sportives féminines dans la presse mondaine de la Belle époque
Tenues à l’écart des activités sportives car elles ne correspondaient pas aux normes de la féminité, sans parler de l’effort physique qui est à cette époque suspecté de favoriser l’infertilité, les femmes françaises ont plus de mal que celles des pays anglo-saxons à se faire accepter sur un terrain réservé exclusivement aux hommes. Toutefois, dans les milieux de la haute société, les femmes pratiquent certains sports jugés gracieux et élégants tel que l’équitation, le tennis, le patinage ou encore la natation.
Si la presse sportive connaît un véritable envol dans la seconde moitié du 19e siècle, elle ne s’intéresse dans un premier temps qu’aux sports pratiqués par les hommes et à leurs performances. Fondé le 1er avril 1898, l’hebdomadaire, La Vie au grand air est donc le premier magazine à faire une place aux sportswomen. A cette époque, le photoreportage fait ses premiers pas. Comprenant l’importance de l’image, son rédacteur, le journaliste sportif Pierre Laffitte, fait le choix d’accorder une large place aux illustrations. Ainsi, les photos représentent des sportifs hommes et femmes en plein mouvement.





Destinée à un public aisé, la presse féminine naissante traite quant à elle des loisirs à la mode comme le théâtre, la musique ou la littérature, mais aussi le sport. Le 1er février 1901, était lancé, par le même Pierre Laffitte, la revue Femina : élégances, littérature, mondanités, modes, théâtres, sports, musique. Premier périodique féminin illustré, il consacre dès son apparition une rubrique aux sportswomen. Une attention particulière est accordée aux compétitions et aux tenues sportives (ci-contre : Fémina, Bibliothèque historique, 2-PER-0904)
Adepte de la cause féministe et défenseur du droit de vote des femmes, Pierre Lafitte n’hésite pas à mettre en avant leur potentiel sportif. A l’instar du Vélocipède illustré et de l’Auto-vélo, le plus grand quotidien sportif de l’époque, le magazine Fémina est à l’initiative de plusieurs compétitions sportives féminines. Le 18 juin 1908, sous une pluie battante se déroule la Coupe Fémina, premier Championnat des Dames françaises de golf. Deux ans plus tard, une nouvelle compétition, aérienne cette-fois-ci, est destinée à récompenser « l’aviatrice munie du brevet de pilote de l’Aéro-Club de France, qui à la date de 31 décembre 1910 à minuit aura parcouru en France la plus longue distance dans un vol sans escale ». Naturellement, Fémina se fait chaque fois l’écho de chacune de ces compétitions.



Lancé en octobre 1902 par la maison d’édition Hachette, La vie heureuse est un magazine mensuel féminin. Offrant un contenu littéraire, grâce à la collaboration des grandes femmes de lettres de l’époque comme Anne de Noailles, le magazine s’adresse principalement à un public élitiste. Mais, peu de temps après sa sortie, La vie heureuse modifie sa ligne éditoriale pour s’aligner sur celle de son concurrent Femina. Ainsi, des articles consacrés aux pratiques sportives féminines sont publiés régulièrement.


En 1917, les deux publications fusionnent et le nouveau magazine intitulé Fémina et Vie heureuse réunies est publié une fois par trimestre.
Après la Première guerre mondiale, la presse destinée au public féminin connaît un véritable essor et l’actualité sportive féminine gagne en importance. Ainsi, Eve : le premier quotidien illustré de la femme consacre une place centrale à la rubrique sportive qui témoigne d’une véritable effervescence des pratiques sportives. Le journal relaie les principaux événements, et se fait écho des exploits des sportives aux Jeux Olympiques de 1920.

Les premières organisations sportives féminines : l’Académia et son organe officiel, Les Sports féminins
En 1882, malgré un un contexte politique hostile à la pratique des sports féminins, les autorités rendent obligatoire l’enseignement de la gymnastique dans tous les établissements scolaires publics pour filles. Dès 1899, des sections féminines de gymnastique se constituent auprès des sociétés de sports masculines et l’année 1912 marque la création des premiers clubs sportifs féminins : Fémina Sport et En-Avant.

En avril 1915, à l’initiative de Gustave de Laferté, membre fondateur du Racing-Club de France, est fondée l’Académie d’Education Physique et Sportive de la Femme, de la Jeune Fille et de l’Enfant qui est une des premières sociétés à associer la pratique sportive à l’éducation physique. Ses principaux objectifs sont la création d’une école de professeurs et de moniteurs d’éducation physique et l’élaboration d’un programme sportif adapté. Mise sous la présidence de la Duchesse d’Uzès, le but de cette association était :
d’encourager par tous les moyens possibles, l’éducation et la culture physique de la femme, de la jeune fille et de l’enfant, créer des établissements de plein air et des salles de sport et de culture physique, agir auprès des pouvoirs publics pour obtenir des espaces libres, des piscines, des gymnases et des encouragements moraux et financiers ».

Quelques mois après sa création, en décembre 1915, L’Académie édite le premier journal consacré exclusivement à la vie sportive féminine. Publié tous les mois, Les Sports féminins est un bulletin de liaison entre les sections de l’Académie permettant de faire connaître leur activité à tous ses membres. Dès le début, le journal consacre une large place aux rubriques portant sur les compétitions sportives, aux articles traitant des effets bénéfiques du sport sur la santé et son rôle esthétique sur le corps. On y trouve également des études traitant des nouvelles méthodes de gymnastique ou encore du rôle éducateur de la musique et son lien avec le sport.
Les Sports féminins, BHVP, 4-PER-3488
En 1917, Académia, Fémina-Sport et En-Avant se réunissaient pour fonder la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF) dont la direction est exclusivement féminine. Sa présidente, Alice Milliat, ancienne championne d’aviron, va consacrer son énergie à faire ouvrir tous les sports aux femmes. Si sa demande d’inclure des épreuves féminines d’athlétisme aux Jeux Olympiques de 1920 s’est vue refusée, la FSFSF organise en 1919 le premier Championnat de France de football féminin. Devenu bulletin officiel de la Fédération, Les Sports féminins témoignent de ce combat.
Le dernier numéro conservé à la Bibliothèque historique date de février-avril 1919. Dans ce 37e numéro, les lecteurs sont informés de la difficulté liée à assurer sa régularité. Est-ce numéro le dernier des Sports féminins ? Malheureusement, nous ne pouvons pas le préciser.
Les Sports féminins, BHVP, 4-PER-3488

Les pionnières des sports mécaniques : l’Automobile Club féminin de France
Placée sous le signe du progrès, des innovations et des nouveautés technologiques, la 3e République va voir bouleverser les pratiques culturelles et les loisirs traditionnels. Propulsés sur le devant de la scène, les sports mécaniques deviennent la nouvelle attraction de la classe aisée. En cette fin du 19e siècle, dans une société où le rôle des hommes et des femmes est bien défini, l’automobile est exclusivement une affaire d’hommes.
Toutefois, quelques femmes entreprenantes et déterminées, prêtes à défier les conventions et les préjugés de l’époque s’emparent du volant. Parmi ces pionnières de l’automobile, la duchesse d’Uzès, Anne de Rochechouart, a marqué son temps par son audace et son esprit d’indépendance qu’elle met en faveur de la cause féministe. Synonyme de liberté et d’autonomie, l’automobile constitue donc un outil d’émancipation des femmes.

Si la duchesse d’Uzès est une cavalière accomplie qui devient en 1880 maître d’équipage du Rallye Bonnelles, elle est aussi la première femme à obtenir le permis de conduire. Se voyant refuser l’accès à l’Automobile Club de France, en vertu de sa condition de femme, elle fonde en 1926 l’Automobile Club féminin de France.
Madame la duchesse d’Uzès, présidente de l’A.C.F. féminin (Agence Meurisse) BnF, Gallica
Selon ses statuts, son but était de « grouper femmes et jeunes filles sachant conduire une automobile ou s’intéressant soit à la locomotion automobile, soit à l’aviation et désireuse de chercher à améliorer notamment au point de vue du tourisme et au point de vue des sports, les voies et moyens de communication de créer des concours, épreuves, courses, fêtes, etc. ». La création de l’A.C.F.F. est accompagnée de celle de son bulletin officiel. Seule publication automobile féminine, la Revue officielle de l’automobile-club féminin s’adresse donc à tous les adeptes du volant.


Mais, durant une longue partie du 20e siècle, l’automobile demeure un objet onéreux, accessible uniquement aux femmes issues des milieux de la grande aristocratie et de la bourgeoisie industrielle, notamment le monde de l’automobile. Le contenu de la revue de l’Automobile-Club féminin, qu’on peut qualifier de chronique mondaine, reflète cette réalité.
Chaque numéro consacre une rubrique aux tournées organisées par l’A.C.F.F. à travers la France. On y trouve des articles permettant de découvrir les stations thermales à la mode, ainsi que des informations concernant les meetings automobiles et les championnats féminins d’automobile. D’autres rubriques portant sur les conseils du chauffeur, mais aussi sur la mode et le sport complètent le bulletin. La publicité occupe une place importante dans les pages de la Revue de l’automobile-club féminin ; on y retrouve cote à cote des publicités pour des vêtements et objets de luxe, les soins de beauté et les accessoires pour voiture.
Publiée tous les mois, puis tous les deux mois, la revue cesse son apparition en 1939.



Le sport catholique et le Rayon sportif féminin
Les associations catholiques ont joué un rôle, pas des moindre, dans le développement du sport féminin. Au cours du 19e siècle, dans le contexte de la déchristianisation du monde ouvrier, se constituent les premiers patronages catholiques dont le but est de remédier à la détresse populaire à travers l’éducation. Œuvres de patronage et institutions scolaires religieuses vont donc inclure l’éducation physique dans leur programme pédagogique. En 1898, sous l’impulsion de certains représentants du catholicisme social est créée l’Union des sociétés de gymnastique de France qui prendra en décembre 1903 le nom de Fédération gymnastique et sportive des patronages de France. A la veille de la grande guerre, elle regroupait plus de 900 sociétés.
Les sœurs encouragent la pratique des activités physiques par les filles et des sociétés de gymnastique se constituent dès la fin des années 1890. Toutefois, le sport catholique féminin ne s’organise qu’à la fin de la Grande Guerre. En 1919, Les Filles de la Charité créent Le Rayon sportif féminin, première organisation fédérale de sport féminin de France qui regroupe les patronages des sœurs de Saint-Vincent de Paul. Travaillant en étroite collaboration avec la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, Le Rayon sportif féminin réuni un nombre considérable de sociétés sportives. Dans les années 1937, le RSF s’élargit à l’ensemble des œuvres scolaires catholiques et prend le nom de Fédération Nationale d’Education Physique féminine. Ce changement d’appellation marque l’éloignement de la fédération des Filles de la Charité et le début d’une nouvelle étape qui se caractérise par sa laïcisation progressive. A la veille de la seconde guerre, la fédération comptait 60.000 gymnastes.

Le 15 octobre 1937, la Fédération éditait le premier numéro de son bulletin mensuel qui se défini comme étant « non seulement un guide pour leur travail technique, mais aussi un trait d’union entre toutes nos sociétés ». Suspendu au début de la guerre, Le rayon sportif féminin est donc un bulletin de liaison entre les sociétés affiliées à la Fédération. Chaque numéro présente des informations concernant les évènements et les compétitions sportives organisées par les sections de la région parisienne et de province. Une large place est accordée aux informations concernant la formation des monitrices, ainsi qu’aux séances de préparation au Brevet Sportif Populaire et au Diplôme d’Etat.
Le rayon sportif féminin, BHVP, 4-PER-2947
Après la guerre, Marie-Thérèse Eyquem, ancienne secrétaire du Rayon profite de sa position au sein des fédérations sportives françaises et internationales pour militer en faveur d’un traitement d’égalité entre les sportifs des deux sexes. Cette période marque aussi une avancée dans la presse spécialisée, les performances des championnes étant commentées avec le même intérêt que celles des hommes. Toutefois, le combat pour l’accès à toutes les épreuves sportives et à l’égalité entre sportifs était loin d’être gagné.
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Levier d’émancipation des femmes, le mouvement sportif féminin a connu un véritable essor durant les Années Folles. Malgré l’opposition des dirigeants des organismes officiels masculins, il se dote d’institutions spécifiques. Ainsi, les femmes gagnent progressivement de nouvelles disciplines et font leur entrée dans les compétitions sportives. Toutes ces avancées n’auraient pas été possibles sans l’action déterminée des sportives et militantes féministes sportives.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Ecaterina Petrescu (30 juillet 2024). Les débuts des sports féminins à travers la presse écrite. L'échauguette. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/123ym
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[…] Question 34 : “Quelques mois après sa création, en décembre 1915, L’Académie édite le premier journal consacré exclusivement à la vie sportive féminine. ” (Hypothèses) […]