Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Suzanne Flon, une traversée théâtrale du 20e siècle

Ce billet est le fruit du travail de Madeleine Yvert, élève de l’ENS Lyon et stagiaire à la BHVP en mai 2024.

Le fonds Suzanne Flon est en cours de traitement, certaines des cotes indiquées ci-après sont des cotes provisoires.

Sur les planches ou derrière l’œil de la caméra, Suzanne Flon fait vibrer le XXème siècle au son de sa mémorable voix. Elle donne la réplique à Pierre Brasseur et Jean-Paul Belmondo au Théâtre de l’Athénée, côtoie Lino Ventura dans Un Singe en hiver de Claude Pinoteau ou encore Romy Schneider dans Un amour de pluie de Jean-Claude Brialy. Elle arpente les grands théâtres parisiens, que ce soit la Comédie et le Studio des Champs Élysées, le Théâtre de l’Atelier ou le T.N.P., et joue de très grands textes.

Le fonds donné à la BHVP par Gwendoline Hamon, petite-fille de Jean et Nicole Anouilh, grâce à la médiation de l’Association de la régie théâtrale, témoigne de cette activité artistique bouillonnante. Composé de nombreuses photographies de scène et de tournage, d’une riche correspondance, de manuscrits, poèmes et dossiers de presse, il permet d’appréhender cette personnalité à la fois impressionnante et discrète.

Des grands magasins au théâtre, itinéraire de grandes amitiés

Suzanne Flon est issue d’un milieu modeste, son père est conducteur de tramway et sa mère lunévilleuse, c’est-à-dire brodeuse de perles. Elle désire être comédienne mais ses parents la destinent à la profession d’institutrice. Elle entre alors comme traductrice-interprète aux magasins du Printemps, puis, à 20 ans, est présentée à Édith Piaf dont elle devient la secrétaire.

C’est à cette date que commence réellement l’histoire de ce fonds. Sa correspondance avec Édith Piaf témoigne aussi bien de leur amitié que de l’actualité musicale de 1939, à l’instar de la lettre du 18 janvier 1939 (4-TFS-034-0021) qui l’invite à lui rendre compte des performances de Germaine Sablon, la questionne sur Charles Trenet, et lui demande quels titres ont été primés à l’ABC, prestigieux music-hall parisien. Après l’explosion de la Seconde Guerre mondiale, une lettre de septembre 1939 formule l’espoir que les théâtres rouvrent leurs portes pendant l’hiver.

Ce sont les contrats d’engagement de Suzanne Flon (4-TFS-034-0081) qui permettent de retracer une vie d’artiste naissante dans ces années troublées. En effet, en juillet 1939, elle est engagée par la Société Fermière du Casino municipal de Cannes, puis, c’est sous le nom de scène d’Anny Lancel qu’elle est engagée comme speakerine à la revue du Chantilly en octobre 1940 et comme annonciatrice au Cirque municipal de Troyes en avril 1942.

Sa carrière est lancée en 1943 par Le Survivant de Raymond Rouleau. Une carrière qui commence et se terminera sous le signe de deux grandes amitiés. Ainsi, ses débuts sont marqués par ses rôles dans les œuvres de Jean Anouilh que ce soit celui d’Ismène dans Antigone en 1944, de Jeannette dans Roméo et Jeannette en 1946, ou de Jeanne d’Arc dans l’Alouette en 1953. Jean Anouilh dit d’elle : « La FLON, comme la PIAF, comme la RAMU, c’est n’importe qui sublimé par le talent. Et c’est pour ça qu’elle est grande. » (8-TFS-034-0050). Cette amitié avec le dramaturge est symbolisée par son entrée dans la famille, en tant que marraine de Caroline Anouilh qui, depuis l’Alouette, la regarde comme l’incarnation même de Jeanne d’Arc (4-TFS-034-0004).

Son amitié avec Loleh Bellon qui lui taille des rôles à sa mesure, rythme sa fin de carrière. Elle joue en effet dans cinq de ses pièces de 1977 à 1995. Leur correspondance évoque le travail d’écriture de Loleh, les manuscrits qu’elle soumet au jugement de sa comédienne (8-TFS-034-0006). Le fonds épistolaire et photographique témoigne de sa grande proximité avec Loleh Bellon et son mari poète et journaliste Claude Roy.

Un monument de discrétion

« Suzanne Flon : Une fragilité invulnérable », « Suzanne Flon ou la fragilité magnifique » (La Provence), « Insoucieuse de gloire » (Le Figaro), « Suzanne Flon la modeste » (Le Figaro madame) : les dossiers de presse disponibles dans ce fonds dessinent les contours d’une personnalité qui brille sur la scène mais reste extrêmement discrète sur sa vie privée.

Suzanne Flon reçoit le César du meilleur second rôle féminin pour L’Eté meurtrier en 1984, puis pour La Vouivre en 1990. Elle est distinguée du Molière de la comédienne pour Léopold le bien-aimé en 1987, et La Chambre d’amis en 1995. Bien qu’elle soit donc sur le devant de la scène, tout un pan d’elle nous échappe.

Ses relations épistolaires permettent d’en combler les blancs. Ce sont notamment les poèmes et autres textes que Claude Roy lui dédicace qui sont révélateurs, à l’image de la « Liste (incomplète) de ce qu’on aime chez Suzanne » qui évoque comment elle « attrape les façons d’être des gens, leurs gestes, leurs pensées dans leurs corps, leurs façons de parler » pour s’en servir sur les planches (4-TFS-034-0026). D’autres amis lui dédicacent leur art, comme la poète Marie Noël dont la correspondance est agrémentée de poèmes ou la peintre surréaliste italienne Léonor Fini, rencontrée chez le coiffeur, qui fait son portrait et du fait de leur passion commune pour les chats, en griffonne des croquis dans ses lettres.

Correspondance avec Christian Freyburger, 4-TFS-034-0011

Les lettres de remerciement de spectateurs émus aux larmes ou les témoignages admiratifs de ses pairs retranscrivent son talent : « Vous nous apportez votre âme et votre cœur avec une telle générosité que je voulais vous en remercier ! », écrit ainsi la comédienne Madeleine Renaud à propos de L’Alouette (8-TFS-034-0035). Claude Pinoteau, dans un hommage recueilli par l’association « Souvenance de cinéphiles » déclare : « Le Larousse parle de son jeu sensible, direct profond et sans apprêt, parce qu’elle y met un humanisme, une sincérité qui nous touche. »

Suzanne Flon émeut, impressionne, bouscule. Les clichés fixent son port d’artiste, spontané, simple et assuré. Les scripts des pièces qu’elle a jouées gardent la trace de son travail de diction et d’absorption du texte. Des films en noir et blanc aux productions en couleur, d’Antigone à L’Amante anglaise, elle a ainsi traversé un siècle de théâtre, un siècle de cinéma, portée par son amour de la scène.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Bibliothèque historique de la Ville de Paris (2 août 2024). Suzanne Flon, une traversée théâtrale du 20e siècle. L'échauguette. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/124o2


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.