Henri Guérard, un “titi” du 20e devenu photographe humaniste
Ce billet est le fruit du travail de Livia Auroy, masterante en histoire de l’art à Paris 1-Panthéon Sorbonne et stagiaire à la BHVP à l’automne 2023.
Le fonds Henri Guérard est en cours de traitement, certaines des cotes indiquées ci-après sont des cotes provisoires.
Il a suivi les traces d’Henri Cartier-Bresson. Il a exposé avec Willy Ronis. Il a été le rival de Robert Doisneau et pourtant, peu de personnes le connaissent. Qui est donc Henri Guérard, photographe humaniste que l’histoire n’a pas retenu ?
Mon aventure avec Henri Guérard (1921-2012) a débuté avec un stage de six mois, fait dans une belle et grande bibliothèque conservant la mémoire de Paris. Je connaissais la renommée de l’établissement mais je n’avais jamais eu la chance d’y travailler. Mon stage m’a permis de comprendre le fonctionnement d’une bibliothèque patrimoniale mais surtout de découvrir le fonds photographique Henri Guérard. Au fil de mes recherches j’ai été fascinée par son œuvre. J’ai alors décidé de consacrer mon année de M2 à l’étude d’Henri Guérard, à la mémoire de ce photographe qui a immortalisé les grands événements de la capitale, dans la seconde moitié du 20ème siècle. J’ai pu travailler à partir du fonds conservé à la bibliothèque ainsi qu’inventorier et répertorier sur un fichier informatique toutes les informations concernant l’ensemble des albums photographiques. Cette expérience a été très enrichissante. Je tiens à remercier toute l’équipe de la bibliothèque pour leur gentillesse et leur disponibilité. Je suis fière de mon travail, mais je suis surtout satisfaite d’avoir pu rendre hommage à Henri Guérard.
À la découverte du fonds Henri Guérard
L’ensemble des photographies et des documents consacrés à Henri Guérard sont partagés entre la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et le Musée de la Libération Leclerc-Moulin. Sans compter les particuliers qui possèdent des tirages originaux du photographe. Je remercie Danielle Peters, Dominique Chartier et Joseph Pantaleo de m’avoir montré leurs collections.
Le 7 mai 2015, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris a reçu en don le fonds Henri Guérard, composé de 93 000 documents comprenant environ 135 000 vues dont 91 % de vues négatives et 9 % de vues positives. C’est grâce à l’initiative et à la générosité du fils du photographe, Jean-Claude Guérard, que ces photographies sont arrivées à la bibliothèque, après plusieurs tentatives infructueuses.
Le fonds contient 80 200 supports négatifs et 11 800 supports positifs. Au cours de mon étude, je me suis concentrée sur les supports positifs, en particulier sur les planches-contact.
Henri Guérard, la mémoire de Belleville-Ménilmontant
Enfant de Ménilmontant, vrai titi parisien, mais surtout, photographe, Henri Guérard a été le témoin des changements historiques et sociaux de Paris, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort, en 2012. Son appareil l’accompagnait toujours dans ses missions photographiques et il fixa sur pellicule tous les événements importants de la capitale et du 20ème arrondissement, « son village », comme il l’appelait affectueusement1.
Henri Guérard naît en 1921, au 10 rue Sorbier, dans le quartier Belleville-Ménilmontant. Lorsqu’il épouse Simone, c’est rue d’Annam que le couple choisit de s’installer, à seulement dix minutes à pied de la rue Sorbier !
Henri Guérard aimait profondément son métier et voulait le transmettre au plus grand nombre. Ce qu’il fît bénévolement, par exemple à travers la création d’un atelier photographique à la Maison des Jeunes et de la Culture de la rue du Borrégo. Le photographe est considéré par la présidente de cette MJC, Danielle Peters, comme la « mémoire de Belleville-Ménilmontant ».
Henri Guérard, un humaniste engagé
Pendant la guerre, Henri Guérard travaille pour le Service photographique et cinématographique de l’Armée. En parallèle, il entre dans la Résistance aux côtés de son oncle, Marcel Verrière. Henri Guérard est un agent P1, c’est-à-dire qu’il réalise des missions en tant que résistant tout en continuant à exercer sa profession de photographe. Il couvre la libération du 20ème arrondissement par les Alliés, l’arrivée des chars d’assaut américains sur le boulevard de Belleville, les combats des Francs-Tireurs Partisans (FTP) et le déchargement des trains allemands à la gare de Ménilmontant. L’histoire locale se mêle à celle de la capitale. Henri Guérard est le témoin de son siècle.
Il n’est pas seulement un passeur de mémoire, c’est aussi un homme engagé. Profondément croyant, ses valeurs reposent sur l’entraide et la charité. C’est son intérêt pour les plus démunis et les plus vulnérables qui caractérise le mieux son œuvre. Henri Guérard, appareil photo au poing, a enregistré les grands changements de l’après-guerre. Il a parcouru toutes les rues et venelles du 20ème arrondissement, a suivi de près les missions des Petits Frères des Pauvres et de l’abbé Pierre et s’est rendu dans les bidonvilles de Nanterre. Dans une période marquée par une croissance économique sans précédent, Henri Guérard nous révèle une autre réalité, celle de la précarité, de l’insalubrité et des mal-lotis.
Même s’il n’adhéra jamais officiellement au Groupe des XV (fondé à Paris en 1946 par quinze photographes dont Robert Doisneau, Willy Ronis et Henri Cartier-Bresson), Henri Guérard peut être affilié au courant de la photographie humaniste. Comme ses homologues, il considère avec dignité la vie humaine. Sans angélisme, il réalise des photographies joyeuses et spontanées de ses compatriotes. Une nouvelle iconographie à la française est proposée. Elle veut montrer une société qui se relève, malgré les difficultés rencontrées.
Henri Guérard, ce talent méconnu
Henri Guérard utilise aussi des nuances de gris, des angles de vue novateurs, le flou, autant de techniques qui témoignent de son goût pour l’expérimentation photographique. Pourtant, il ne s’est jamais considéré comme un artiste. Tout comme les photographes humanistes Sabine Weiss, Robert Doisneau ou Willy Ronis, il préfère la dénomination d’artisan-photographe.
Henri Guérard était bien plus qu’un simple opérateur et ses images témoignent d’une volonté artistique. Mais contrairement à ses confrères humanistes, il resta longtemps dans l’oubli. Plusieurs raisons peuvent être avancées. Tout d’abord, Henri Guérard n’était pas un bon commerçant, il ne savait pas vendre ses clichés. De plus, il n’appartenait pas à une agence de presse, ce qui aurait pu lui assurer la stabilité économique. Ce qui ne l’empêcha pas d’exposer ses œuvres, à la fois à Belleville-Ménilmontant et dans le reste de la capitale.
Résolument optimiste et désireux de montrer la vie en mouvement, Henri Guérard considère la photographie comme un moyen de dénoncer les injustices de la société mais aussi de révéler la force, la vitalité et la beauté de l’Humanité. J’espère, dans un futur proche, rendre hommage à ce photographe en lui consacrant une exposition qui retrace son parcours.
- Voir : Guérard Henri, Le regard d’un photographe sur Belleville, Ménilmontant, Charonne (1944-1999), Paris, Éditions de l’Amandier, 2005 ; Guérard Henri, Photographes de Paris, Paris, Parimagine, 2007. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Bibliothèque historique de la Ville de Paris (2 septembre 2024). Henri Guérard, un “titi” du 20e devenu photographe humaniste. L'échauguette. Consulté le 13 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/127rw