La blanche chapelle et les sept chapelains
Non, il ne s’agit pas d’un remake du conte bien connu, mais d’un ensemble assez exceptionnel d’archives permettant de retracer l’histoire d’une chapelle parisienne sur un peu plus de 5 siècles : la chapelle de Pacy, qui perdura des années 1350 à la fin du 18e siècle, et à travers laquelle nous disposons d’un fascinant aperçu sur l’histoire sociale, architecturale, foncière et religieuse d’un quartier de Paris.
Les origines
Au Moyen Âge, la famille de Pacy fait partie des élites bourgeoises de la ville de Paris, à laquelle elle a donné plusieurs prévôts des marchands. Au 14e siècle, elle est notamment illustrée par deux frères, prénommés Jacques et Jean. Jacques de Pacy (mort en 1364) est conseiller du roi et maître en la Chambre des comptes ; Jean de Pacy (mort entre 1365 et 1370), son puîné, est marchand pelletier, avant de devenir lieutenant du pourvoyeur des grains et fourrages du roi en 1349, receveur de Paris en 1359, prévôt des marchands de 1352 à 1354, échevin de 1361 à 1363, et enfin conseiller au Parlement de Paris à partir de 1364.
Jacques et Jean de Pacy décident de fonder en 1349 une chapelle en l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Paris, à l’autel de la Sainte-Trinité.
Cette chapelle se subdivise en une chapelle de la Sainte-Trinité et une chapelle de Notre-Dame, et ils associent à leur fondation des rentes prélevées sur des maisons situées rue Saint-Martin (près du chevet de Saint-Merry), rue de la Mortellerie (rebaptisée depuis lors rue de l’Hôtel-de-Ville), rue de la Vieille-Tissanderie (qui a disparu en 1850), etc., ainsi que sur “le parloir aux bourgeois et autres revenus de la ville de Paris”.
Petit à petit, les héritiers de Jacques et Jean fondent d’autres chapellenies associées à la chapelle de Pacy. Tant et si bien qu’en 1395, on ne dénombre pas moins de sept chapelles en tout, disposant chacune de son propre chapelain, et de ses propres revenus. Les sept chapelains de la chapelle de Pacy se constituent en communauté et répartissent leurs archives en 3 grands ensembles : “Titres” (c’est-à-dire, les actes fondateurs qui justifient leur existence même et, surtout, le droit qu’ils ont de prélever des rentes sur plusieurs maisons, ainsi que le montant de ces rentes), “Procédures” (de fait, on a parfois le sentiment que ces membres du clergé passent plus de temps à intenter des procès et à plaider qu’à dire la messe…), et “Comptes” (très soigneusement tenus dans la première moitié du 16e siècle par l’un des sept chapelains pour l’ensemble de la “communauté”).
Des archives qui fourmillent de détails
Pour la période qui s’étend du 14e siècle au milieu du 16e siècle, les archives de la catégorie “Titres” ont été numérisées par l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) et sont disponibles sur sa bibliothèque numérique Arca. La numérisation ayant été faite avant que les documents ne reçoivent leur cote définitive et ne soient catalogués, elle ne correspond plus au découpage actuel des liasses, et comporte un fichier pour chacune des anciennes cotes CP-3573, CP-3574, et CP-3575. Un volume liminaire, actuellement coté MS-3540 (ancienne cote CP-3572), a également été numérisé : rédigé à la fin du 18e siècle, il constitue une très intéressante synthèse de l’ensemble du fonds, et donne un précieux survol historique de la chapelle de Pacy.
Ces archives fourmillent de détails sur les maisons qui faisaient vivre les 7 chapellenies de Pacy : l’enseigne qui permettait de les reconnaître, les travaux qui y étaient régulièrement nécessaires pour éviter qu’elles ne se dégradent, les personnes qui y habitaient et versaient un loyer au chapelain… On dispose notamment d’un important ensemble qui permet de suivre quasiment au jour le jour les travaux entrepris de 1746 à 1775 sur la maison de la rue de la Mortellerie.
Livre de comptes de la chapelle de Pacy pour l’année 1492. BHVP, 8-MS-4997, feuillet 1 (fragment).
Transcription : “De Guillaume Parlin, vendeur de vins, à présent propriétaire dudit hostel declairé en l’article devant dit sur lequel hostel ladite communauté et les chapelains de Sainct-Martin et Sainct-Mor prennent huyt livres parisis de rente amortie pour la part de ladite communauté qui prent la tierce partie desdites huyt livres parisis ; pource que ladite communauté luy a fait de parisis tournois jusques à huyt anne[e]s commencens le jour de Noel iiiixx et dix ledit terme exclud n’ont esté receux que : xlii sols viii deniers parisis.”
Les registres de comptes sont extrêmement intéressants. Ils témoignent de la maestria avec laquelle ces chapelains étaient capables de calculer, par exemple, le montant du tiers d’une rente de 8 livres parisis ramenée à 8 livres tournois (c’est-à-dire, en fait, dévaluée d’un cinquième). L’étude du texte ci-dessus, dont vous trouvez la transcription en légende, montre que le compte est juste : 1 livre valant 20 sous et 1 sou valant 12 deniers, 1 livre équivaut à 240 deniers ; le tiers de 8 livres moins un cinquième revient à 512 deniers, soit 42 sous (42 x 12 = 504) et 8 deniers. Les registres de comptes se suivent en une séquence quasi ininterrompue de 1492 à 1557 (il ne manque que les années 1509-1515, 1534 et 1549-1550), puis se font plus disparates et ne couvrent plus que les années 1609-1630, 1693-1694, et 1749-1769.
Ces archives, récemment cataloguées et partiellement numérisées, sont désormais à la disposition des chercheurs, à qui elles offrent une grande diversité d’angles d’approche.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Patrick Le Boeuf (30 octobre 2024). La blanche chapelle et les sept chapelains. L'échauguette. Consulté le 8 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12lfg
