Les photographies du Casier archéologique et artistique conservées à la Bibliothèque historique
La Bibliothèque historique conserve des milliers de photographies anciennes réalisées entre 1916 et 1936 à la demande de la Commission du Vieux Paris pour son Casier archéologique et artistique. Laurence Bassières définit ce Casier comme un “inventaire architectural et urbain de Paris et de l’ancien département de la Seine constitué entre 1916 et 1928 [qui] bénéficia d’une certaine reconnaissance lors de son élaboration et durant la décennie suivante, avant de tomber dans l’oubli dès les années 1940”1.

Des photographies pour la Commission du Vieux Paris
En 1897, la Commission municipale du Vieux Paris est créée au sein de la Préfecture de la Seine : elle est “chargée de rechercher les vestiges du vieux Paris, de constater leur état actuel, de veiller, dans la mesure du possible, à leur conservation, de suivre, au jour le jour, les fouilles qui pourront être entreprises et les transformations jugées indispensables, et d’en conserver des preuves authentiques”2. Les principaux acteurs de cette commission consacrée à l’histoire de Paris sont cités dans le procès verbal du 28 janvier 1898. Il s’agit d’Alfred Lamouroux (1840-1900), conseiller municipal et membre de plusieurs sociétés savantes (Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, Société des Amis des Monuments parisiens) et de Justin de Selves (1848-1934), préfet de la Seine de 1896 à 1911, président de droit de la commission. Cette dernière se compose d’élus du Conseil municipal puis à partir de 1904 d’élus du Conseil général de la Seine, de chefs de service de l’administration préfectorale et d’experts. Elle publie ses procès-verbaux.
Dès le début, la Commission reçoit des tirages photographiques mais ce n’est qu’à partir du 11 janvier 1902 qu’elle détermine la liste des photographes choisis pour fournir les “reproductions photographiques et phototypiques” de ses rapports, selon des conditions, des prix et des dimensions bien définis3. A cette date les photographes E. Barry, Berthaut (ou Berthaud ?) frères, P. Émonts, H.-C. Godefroy, E. Gossin et l’Union photographique française sont les premiers accrédités. La Commission, informée de l’urgence d’une démolition ou de travaux, pouvait dès lors dépêcher l’un d’entre eux.
La création du Casier archéologique, décidée en 1916, fait travailler des photographes accrédités par la Commission. Ce Casier, conservé aux archives de la Commission du Vieux Paris, répondait davantage à une “démarche prospective et scientifique” : des édifices déterminés faisaient l’objet d’un dossier, avec un “plan parcellaire, les servitudes architecturales et urbaines frappant le ou les bâtiments, un relevé photographique, des notes sur les demandes de sauvegarde ou sur l’historique des bâtiments”4. Le Casier devait être un “outil patrimonial, pouvant aussi bien être intégré aux politiques urbaines en cours d’élaboration (…), que servir à la constitution de l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques”5.


Il est tentant de se lancer à la recherche de concordances entre les rapports qui nous sont parvenus et les photographies provenant du Casier. Par exemple, le procès-verbal de la Commission daté du 9 mars 1918 rapporte que le conservateur de la Bibliothèque historique, Marcel Poëte (1866-1950), fait une intervention sur le lycée Henri-IV, installé dans l’ancienne abbaye Sainte-Geneviève : sa conférence s’appuie sur la “projection de plans anciens”6 . L’architecte Louis Bonnier (1856-1946), “inspecteur général des services techniques d’architecture et d’esthétisme”, lui succède au pupitre et détaille l’historique du lycée. Il mentionne alors des photographies présentées à cette occasion.
Louis Bonnier décrit ce que l’on semble voir ici : “C’était l’entrée de l’ancienne bibliothèque Sainte-Geneviève, fondée par le cardinal de la Rochefoucauld et actuellement transformée en dortoir. Les galeries ont conservé leurs lambris et leurs plafonds à grandes gorges à compartiments”7.


L’architecte en chef de la Ville de Paris déplore : “On a très malencontreusement fait une cage d’escalier circulaire défendue par une rampe de bien mauvais goût. Enfin l’ancien cabinet d’histoire naturelle, lambrissé d’admirables boiseries du 17e siècle, forme un ensemble précieux et intact.”8.
Louis Bonnier et Marcel Poëte s’avèrent, sans surprise, être les principaux artisans de la constitution du Casier archéologique9. Malgré leurs efforts à l’époque et la mention de l’existence du Casier dans les procès-verbaux, ne furent publiés que quelques rares clichés et un faible nombre d’articles pour en faire la publicité10.
Pourquoi des tirages des photographies du Casier sont-ils conservés à la Bibliothèque historique ? Marcel Poëte, archiviste-paléographe conservateur de la Bibliothèque historique, était aussi secrétaire général de la Commission du Vieux Paris de 1914 à 1920. C’est certainement grâce à lui que la bibliothèque a aujourd’hui en sa possession ces images dont les plaques de verre sont aux archives de la Commission du Vieux Paris11. Le musée Carnavalet en conserve aussi des exemplaires et les a fait numériser12. Les tirages originaux de la Bibliothèque historique ont été complétés par des reproductions réalisées à la demande de la bibliothèque à la fin des années 199013.
Les photographies du Casier à la BHVP : aspects et histoire
Si l’inventaire du Casier archéologique a donné lieu à la production “de plus de six mille clichés photographiques”14, le fonds de la Bibliothèque historique compte 4962 tirages gélatino-argentiques noir et blanc répartis entre les cotes 4C-EPF-003-… et 8-EPF-004-… Le Casier a été “conçu dans la perspective de ce qu’on appelait déjà le Grand Paris” dès 192415 mais les tirages de la bibliothèque ne concernent que la capitale, avec un déséquilibre marqué entre le nombre de dossiers consacrés aux arrondissements centraux et ceux consacrés aux arrondissements périphériques, beaucoup moins nombreux. Toutes les images sont classées par arrondissement et quartier administratif, légendées au verso avec le nom du lieu photographié, le numéro du négatif conservé par la Commission du Vieux Paris et celui de la vue de “projection” correspondante. Il y a quelques différences entre le fonds de la Bibliothèque historique et celui conservé au DHAAP (voir ci-dessous la mention au verso d’un tirage).

Charles Lansiaux (1855-1939) et Edouard Desprez, son successeur, en sont les principaux auteurs. Un autre photographe, Devisme, est crédité. Le travail de Charles Lansiaux est déjà bien présent à la Bibliothèque historique. Sa plus importante commande pour notre établissement est intitulée « Aspects de Paris pendant la guerre de 1914 » : ces milliers d’épreuves numérisées, témoignage unique sur la vie quotidienne et l’organisation de la capitale en temps de guerre, ont fait l’objet d’une exposition en 201416. La seconde série d’épreuves prises entre 1916 et 1917, “Aspects industriels de Paris“, documente l’activité le long des quais de la Seine et des canaux parisiens. Quelques photographies de banlieue concernant Courbevoie, Neuilly, Saint-Ouen et Villejuif complètent les deux ensembles.
En lien avec les préoccupations de la Commission, ces photographies du Casier archéologique reproduisent des bâtiments (façades, portes d’entrée…), des éléments de ferronnerie (rampes, balcons…), des monuments divers et des détails d’architecture (niches avec des statues…).



Le photographe ne cherche pas à photographier un Paris sans vie : les scènes du quotidien (livraison…) qu’il saisit au fil de ses reportages architecturaux nous offrent un aperçu précieux de l’atmosphère qui règne dans les rues. Dans les années 1916-1918, on y croise aussi des soldats blessés, en permission dans un Paris vidé de ses hommes du fait de la Première guerre mondiale.



Ces images font aussi écho à nos fonds photographiques consacrés à l’artisanat (petits métiers…) et aux boutiques parisiennes du début du 20e siècle. Pour photographier un élément décoratif intérieur ou une structure architecturale, le photographe pénètre dans les bâtiments : il arrive alors qu’il saisisse des ouvriers au travail.



Dans les pas d’Eugène Atget (1857-1927), Charles Lansiaux photographie par exemple des cardeuses de matelas ou redécouvre de vieilles enseignes de commerces parisiens.


Les photographies appartenant au Casier archéologique des Archives de la Commission du Vieux Paris sont aujourd’hui conservées au centre de documentation du Département d’Histoire de l’Architecture et d’Archéologie de la Ville de Paris (DHAAP). Toutes les photographies de Lansiaux ou Desprez en leur possession ont été numérisées et géoréférencées dans une carte interactive en ligne sur le site internet de la Commission du Vieux Paris17. En complément à ces tirages du Casier, des photographies de la Commission du Vieux Paris pour les années 1950 à 1970 sont consultables sur le site du DHAAP. N’oublions pas que la Commission est toujours en activité aujourd’hui18. Une liste des anciens membres de la Commission est consultable en ligne sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques, rattaché à l’École nationale des chartes.
Pour en savoir davantage sur l’existence du “Casier archéologique et artistique”, se reporter au travail de l’architecte Laurence Bassières publié en ligne en 202019.
Article rédigé par Caroline Lahaye, avec la collaboration de Catherine Camile et Bérengère de l’Épine.
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- in Procès-verbaux de la Commission du Vieux Paris, Paris, n°1, 28 janvier 1898, p. 1 [↩]
- in Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux Paris, Paris, n°1, 16 janvier 1902, pp. 23-24 [↩]
- https://www.paris.fr/pages/la-commission-du-vieux-paris-226#arrondissement-12-fj6b0 [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- in Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux, Paris, n° 5, 9 mars 1918, pp. 63-65 [↩]
- in Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux, Paris, n° 5, 9 mars 1918, p. 65 [↩]
- in Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux, Paris, n° 5, 9 mars 1918, p. 65 [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- 23, rue Clovis, sous le numéro d’inventaire : N 01308 [↩]
- voir le site Paris Musées https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/recherche?keywords=casier%20arch%C3%A9ologique [↩]
- Archives du département des photographies de la BHVP : Note pour monsieur Fleury, 13 avril 2000 [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42 | 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
- André Gunthert avec la collaboration d’Emmanuelle Toulet, Paris 14-18, la guerre au quotidien : photographies de Charles Lansiaux, Paris-bibliothèques, 2013 [↩]
- https://cdn.paris.fr/paris/2022/09/19/a53c3e8009a93479aa5a00bbc6529ef8.pdf [↩]
- https://www.paris.fr/pages/la-commission-du-vieux-paris-226#la-commission-du-vieux-paris [↩]
- Laurence Bassières, “Qui connaît le Casier archéologique et artistique (1916-1928) ?”, In Situ, 42, 2020, mis en ligne le 12 juin 2020 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Bibliothèque historique de la Ville de Paris (21 mai 2025). Les photographies du Casier archéologique et artistique conservées à la Bibliothèque historique. L'échauguette. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13zpa