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Les éphémères des commerces et des produits alimentaires

Le Département des Éphémères et de la documentation vous propose un nouvel inventaire. Il porte sur les commerces et les produits alimentaires. C’est un très gros ensemble de 7 mètres linéraires, comprenant près de 15 000 documents, répartis en 2 300 dossiers.

Origine des documents

L’essentiel des documents ont été collectés au tout début du 20e siècle, ou bien par les bibliothécaires de l’établissement, dans le cadre de la collecte initiée par Marcel Poëte, ou bien par des amateurs, qui en ont ensuite fait don à la Bibliothèque. Ils ont pu être recueillis auprès des producteurs eux-mêmes, à savoir directement chez les commerçants, mais aussi, pour les documents provenant d’industriels et ou de détaillants de province et de l’étranger, lors de voyages effectués par les collectionneurs amateurs déjà évoqués et, très probablement, lors des Expositions universelles parisiennes.

Jusqu’à présent, cet ensemble constituait une partie de la volumineuse série 120 du cadre de classement de Jules Cousin consacrée aux commerces parisiens.

Profil de l’ensemble

Cet ensemble couvre donc Paris et sa banlieue, mais aussi la province et l’étranger. Les commerçants et les producteurs de la capitale y sont toutefois les mieux représentés. On y trouve toute la gamme des commerces parisiens, des grandes enseignes à succursales, comme Félix Potin, aux plus modestes boutiques de quartier.

Vins Nicolas, catalogue, 1956 (4-DEP-009-0193)
M. Flamant, buvard, 1904 (4-DEP-009-0176)

La période la mieux documentée se situe entre 1890 et 1930, mais la BHVP possède aussi quelques documents plus anciens, remontant jusqu’à la période révolutionnaire. Les pièces les plus récentes datent du début du 21e siècle.

Chez le Capitaine Crochet, vers 1830 (8-DEP-009-1186)
Fauchon, carte de fidélité, 2005
(8-DEP-009-0051)

Les types de documents décrits dans cet inventaire sont très variés. Les prospectus, les dépliants, les catalogues et les buvards publicitaires sont majoritaires ; l’imagerie publicitaire est aussi très bien représentée, notamment par des séries de chromolithographies. Mais les commerçants et les industriels faisant preuve d’une grande imagination pour fidéliser les consommateurs, on rencontre aussi des typologies plus rares comme des petits jeux d’adresse, des masques, des chapeaux en papier, des protège-cahiers, etc.

Van Houten, jeu d’adresse, vers 1900 (4-DEP-009-0665)
Elesca, chapeau en papier, vers 1915 (2-DEP-009-0029)

La quantité et les types de documents varient évidemment selon la nature des activités et la taille de la société. Les petites boutiques, comme les boucheries-charcuteries ou les poissonneries de quartier, distribuent majoritairement des prospectus pour annoncer des évènements ponctuels (ouverture, agrandissement, changement de propriétaire, promotion sur un produit, etc.). Nombreuses sont les enseignes modestes pour lesquelles un seul document nous est parvenu. Certains essayent de fidéliser la clientèle en distribuant très occasionnellement un buvard, un calendrier ou une image publicitaire.

A. Desroches, buvard, vers 1904 (8-DEP-009-0681)

Les enseignes plus prestigieuses, comme la confiserie A la Marquise de Sévigné ou les vins Nicolas, déploient un arsenal publicitaire beaucoup plus riche et varié. Au premier rang de cette communication, corolaire du service de livraison à domicile, figure le catalogue, édité régulièrement, et parfois illustré par un grand artiste. Ces sociétés souhaitent également fidéliser la clientèle à grand renfort de cadeaux publicitaires – agendas, chromolithographies, jeux – et soignent leur image en éditant des brochures sur leur histoire et leur savoir-faire. La beauté et la qualité des documents distribués par les chocolateries sont particulièrement remarquables (papier de choix, impression soignée, couleurs vives).

A la Marquise de Sévigné, catalogue, 1911 (4-DEP-009-0417)
Félix Potin, buvard illustré par Mich, vers 1920
(4-DEP-009-0032)

Le discours publicitaire de certains commerces, comme les laiteries, se distingue par une insistance sur les bienfaits du produit pour la santé des consommateurs (certificats de pureté du lait ou de cachetage des bouteilles). Il est vrai que les produits alimentaires concernés – on peut penser aussi aux eaux minérales, aux alcools à base de quinine, à la bière pour les nourrices, etc. – sont à cheval sur la sphère médicale. Sans doute d’autres documents portant sur ces produits seront-ils signalés lorsque nous ferons l’inventaire de la volumineuse série de publicités médicales et pharmaceutiques (série 133/120 du cadre de classement de Jules Cousin) également conservée dans la collection d’éphémères de la bibliothèque.

Maison Fayolle (Oise), carte commerciale, 1904 (4-DEP-009-0346)
William Saurin, catalogue 1914 (4-DEP-009-0124)

À noter que cet inventaire porte sur les commerces sédentaires : il n’englobe donc pas les halles et marchés. Il n’englobe pas les documents provenant des coopératives de consommation, ni les publicités plus récentes des grandes surfaces. Néanmoins, les ensembles non traités peuvent être communiqués sur rendez-vous : les demandes sont à adresser à bhvp@paris.fr.

Originalité de la collection de la BHVP

Du fait de leur qualité et de leur esthétisme, les catalogues, les chromolithographies ou les publicités illustrées des grandes enseignes, ont pu être considérés comme des objets de collection dès leur diffusion. Des sites commerciaux en proposent toujours à la vente. On peut également les repérer dans d’autres centres de conservation, souvent décrits plus précisément que dans notre inventaire, comme à la Bibliothèque Forney. Pour les chercheurs en histoire de l’art, nous nous sommes toutefois efforcés de relever les noms des illustrateurs ayant contribué à la communication visuelle de ces sociétés.

Lombart, chromolithographie, vers 1930 (4-DEP-009-0420)
Debauve et Gallais, chromolithographie, vers 1900 (4-DEP-009-0435)

Paradoxalement, alors qu’ils ont sans doute été diffusés à nombre d’exemplaires plus élevé, ou au moins équivalent, les documents plus simples et moins élaborés comme les prospectus ou les buvards distribués par les plus petites sociétés s’avèrent beaucoup plus rares et ne se retrouvent quasiment pas dans les catalogues nationaux. Dès lors, il peut s’agit de sources très précieuses pour situer un commerce ou dater sa période d’activité. Une partie des enseignes répertoriées dans l’inventaire n’ont en effet pas été retrouvées dans les annuaires du commerce, leur existence ayant été trop éphémère ou bien le coût de l’insertion ayant été hors de portée de ces petites boutiques. Un relevé minutieux des adresses devrait aider les recherches topographiques .

L. Hollier, carte commerciale, vers 1905
(8-DEP-009-0855)

Le classement de cet ensemble nous a permis d’observer qu’un même modèle de prospectus pouvait être diffusé par différentes enseignes : mise en page, typographie et papier sont identiques ; seules les informations propres au commerce varient. Les publicités découpées en forme d’animal et des séries de chromolithographies sont particulièrement concernées par ce phénomène. Il s’agit d’articles de papeterie publicitaire standard à personnaliser commercialisés par certains imprimeurs. On avait déjà observé ce genre de standardisation lors du traitement des bulletins paroissiaux, des menus de banquets ou des cartes de restaurants, ces derniers utilisant par ailleurs également la papeterie publicitaire distribuée par leurs fournisseurs, notamment de vins et de liqueurs.

E. Guenée, prospectus, vers 1900 (4-DEP-009-0399)
P. Pasquine, prospectus, vers 1900 (4-DEP-009-0149)

Le plan de l’inventaire

Les deux premières parties de l’inventaire portent sur les « Commerces de Paris et d’Ile-de-France », puis les « Commerces de province et d’étranger ». Elles sont subdivisées de manière identique, en sous-parties correspondant aux différents types de commerces : épiceries, caves et marchands de vins, boulangeries-pâtisseries-confiseries-glaciers, chocolateries, laiteries-crémeries-fromageries, boucheries-charcuteries-volailles-gibier, poissonneries, commerces de cafés-thés et autres produits d’importation, commerces de conserves, et commerces d’autres aliments (condiments, féculents, fruits et légumes, matières grasses, produits sucrés, soupes et bouillons).

Dans certaines sous-parties comme les « Boulangeries, pâtisseries, biscuiteries, confiseries, glaciers », une partie intitulée « Commerces mixtes » a été créée, car certains documents portent sur plusieurs produits à la fois, et il est difficile de les classer dans une sous-série plutôt qu’une autre.

Concernant les caves et les marchands de vins, les documents rattachés à un café ou un restaurant déjà traités dans l’inventaire des Éphémères des restaurants de Paris et d’Ile de France, ont été regroupés avec ces derniers.

L’ensemble de documents provenant des commerces parisiens étant particulièrement volumineux, chaque sous-partie a été divisée en en plusieurs sections selon l’importante des commerces : les grandes enseignes à succursales, puis, les enseignes n’ayant qu’une adresse, classées par arrondissement pour Paris et par département pour la banlieue. Les documents des plus petits commerces pour lesquels la bibliothèque ne possède qu’un document ont été regroupés sous une seule cote dans un dossier « Autres commerces de l’arrondissement ou de la commune » à la fin de chaque partie ; cette dernière méthode a été aussi appliquée dans les deux autres parties de l’inventaire.

Ont été englobés dans la première partie sur les « Commerces de Paris et d’Ile-de-France » les documents des producteurs alimentaires provinciaux ou étrangers ayant une adresse de dépôt ou d’agent commercial à Paris ou en Région parisienne .

P. Huet, représentant des champagnes Mennesson, carte commerciale, vers 1902
(4-DEP-009-0293)

La dernière partie de cet inventaire porte sur les « Producteurs et les marques de produits alimentaires ». Elle est subdivisée en sous-parties correspondant aux différents aliments produits, selon un plan s’inspirant des deux premières parties : alimentation générale, boissons… etc.

Certains commerces, de taille modeste à leur ouverture, sont devenus des marques à part entière ; c’est le cas de la fromagerie Lanquetot, par exemple. On s’est appuyé sur la date des documents inventoriés pour les classer dans la partie la plus adaptée .

Lanquetot, couvercle de boîte de camembert, vers 1900
(8-DEP-009-0971)

Un matériau pour la recherche

La volumétrie de cet ensemble est assez importante pour dessiner une cartographie reflétant les densités d’implantation réelles des différents types de commerces parisiens vers 1910, en complément des annuaires du commerce ou de la série de photos sur les boutiques parisiennes. Certains types d’enseignes sont en effet beaucoup plus répandues dans un quartier qu’un autre. Cette géographie est sans doute à relier à l’environnement (c’est le cas des laiteries se trouvant à la périphérie, par exemple) ou avec les types de population des quartiers en question.

Succursale de la vacherie du Jardin d’Acclimatation, prospectus, vers 1900 (8-DEP-009-0405)

On est frappé par exemple par le nombre très élevé de caves dans le 9e arrondissement. Est-ce à mettre en rapport avec la géographie ancienne du vignoble francilien, principalement installé au nord-ouest de la ville à l’époque moderne, qui aurait entraîné une tradition de guinguettes et marchands de vins dans le quartier ? Ou bien s’agit-il plus prosaïquement du hasard de la collecte ? Toujours est-il que le 9e arrondissement de la Belle Époque, avec ses grands magasins et ses salles de spectacles, draine de nombreux visiteurs, autant de clients potentiels à capter pour ces petites enseignes.

Agence Bouytaud et Cie, catalogue, vers 1900 (8-DEP-009-0901)
Dépôt des Grandes brasseries réunies de Maxéville, étiquette de bouteille de bière, vers 1900 (8-DEP-009-0338)

Bien que la plupart des producteurs et marques cités dans l’inventaire soient localisés en province, ce qui montre l’effet du développement des transports sur la consommation alimentaire de la capitale, cet ensemble documentaire rend perceptible la présence d’usines de production alimentaire à Paris et en Région parisienne : il s’agit de meuneries, de laiteries, de chocolateries, de producteurs d’alcools. Ces sites ont souvent disparu aujourd’hui car l’industrie alimentaire s’est éloignée des métropoles depuis les années 1950.

Dépôt des Grandes boulangeries de la Seine, prospectus, 1934
(8-DEP-009-0444)

Du point de vue des pratiques alimentaires, notre collection de publicités alimentaires, de même que nos cartes de restaurants et nos menus de banquets, semble confirmer ce que les chercheurs ont établi comme grandes tendances pour la première moitié du 20e siècle :  menus riches en protéines animales (viande, poisson, œuf), légumes secs beaucoup plus présents que les légumes frais, à l’exception des pommes de terre, place prépondérante du pain, forte consommation de vins et d’alcools.

De nombreux prospectus, catalogues et dépliants diffusés à l’occasion des grands événements de l’année, témoignent également d’une forte saisonnalité des pratiques alimentaires et commerciales, des fêtes de Noël et du Jour de l’An, déjà très mercantiles à la Belle Époque, à la Sainte-Catherine, en passant par la saison des baptêmes, communions et mariages, celle des pique-niques et même la rentrée scolaire. Ce phénomène d’opportunisme publicitaire touche aussi bien les grandes enseignes, qui déploient des moyens de communication de plus en plus élaborés, que les petits commerces.

Julien Damoy, prospectus, vers 1925
(4-DEP-009-0047)
Félix Potin, prospectus, 1927
(8-DEP-009-0030)
Rotisserie du Dôme, prospectus, 1905
(4-DEP-009-0499)

Le thème de l’alimentation est l’objet d’une attention toute particulière de la part du monde universitaire depuis une ou deux décennies et il donne lieu à de nombreux colloques, monographies et expositions.

Au cours des dernières années, deux chercheuses ont exploité une partie de cet ensemble documentaire pour leur travaux : Christy Spackman, pour sa thèse sur les eaux minérales en 2015, Transforming taste : the twentieth-century aesthetic remaking of water, et Coline Arnaud pour sa thèse sur la pâtisserie en 2019, La Pâtisserie française (1870-1914) : une révolution gastronomique.

Plusieurs pièces de l’ensemble ont également été présentées dans l’exposition Nourrir Paris : une histoire du champ à l’assiette à la Bibliothèque Forney du 5 novembre 2019 au 1er février 2020.

Si vous aussi vous vous intéressez à l’alimentation à Paris dans la première moitié du 20e siècle, n’hésitez pas à consulter la carte, à commander les dossiers qui vous paraissent les plus alléchants et à venir en faire votre miel en salle de lecture !

Au Gourmand Corcellet, carte commerciale, vers 1900 (8-DEP-009-0101)

Nous vous recommandons également les sélections documentaires réalisées par nos collègues de la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque municipale de Dijon sur Gallica, en particulier sur les métiers de bouches et sur les boissons.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sylvaine Lambert (21 novembre 2022). Les éphémères des commerces et des produits alimentaires. L'échauguette. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/lxfb


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